SOINS PALLIATIFS | Accompagner les personnes en situation de handicap jusqu’à la fin
Selon des études nationales et internationales, les soins palliatifs dispensés aux personnes ayant des troubles cognitifs présentent toujours d’importantes lacunes. Un projet de la Haute école spécialisée de Suisse orientale vise à développer un concept de soins palliatifs pour ce groupe de personnes en Suisse orientale.
Une éducatrice sociale qui travaille dans une institution pour personnes présentant des troubles cognitifs relate une histoire impressionnante:
«Un homme âgé ayant des troubles cognitifs, appelons-le Michael B., souffrait d’un cancer de l’œsophage. Cinq chimiothérapies et vingt-sept séances de radiothérapie ont permis de stabiliser l’évolution de la maladie pendant plusieurs mois. Mais les douleurs ont rapidement repris de l’ampleur et des métastases ont été détectées dans son corps. Que faire? Il était évident qu’un nouveau traitement aurait fait beaucoup souffrir Michael B. Après s’être entretenu avec l’oncologue, il a finalement décidé de renoncer à d’autres mesures permettant de prolonger sa vie. Dès lors, nous avons axé l’accompagnement sur la gestion de la douleur. Michael B. a établi une liste des choses qu’il voulait faire avant de mourir. À partir de ce moment-là, nous avons renforcé les soins palliatifs et la personne de référence l’a aidé à réaliser sa «bucket list». Nous avons ainsi savouré ensemble un café glacé dans son restaurant préféré, puis il a pu fumer un cigare au bord de la rivière.
Son état s’est ensuite rapidement dégradé. Une pompe à morphine a permis de soulager ses douleurs physiques. Le service mobile de soins palliatifs a effectué un travail d’accompagnement professionnel et riche en enseignements. Quelques semaines plus tard, son état s’est fortement détérioré. Michael B. a clairement réalisé qu’il était atteint d’une maladie incurable. Pragmatique, il disait: ‹Ma foi, c’est comme ça.› Il craignait néanmoins d’être seul. Alors qu’une personne était de garde à son chevet, il s’en est allé paisiblement.
Les funérailles, organisées à l’institution, ont été préparées dans le cadre d’une collaboration interdisciplinaire entre la personne de référence, les colocataires et l’aumônière afin d’honorer la mémoire de Michael B. Ainsi, l’ensemble des résidentes et résidents, le personnel et les proches ont pu lui faire leurs adieux d’une belle façon.
La personne de référence s’est souvent demandé si un accompagnement en logement communautaire était adaptée pour Michael B. durant la phase palliative. Toutefois, grâce à la collaboration de la médecin de l’EMS et le service mobile de soins palliatifs, un cadre adéquat a pu être créé afin de promouvoir la qualité de vie de Michael B.»
Accès difficile aux soins palliatifs
Des collectes de données dans plusieurs cantons de Suisse montrent que, dans l’accompagnement en structure stationnaire de longue durée en particulier, la part des personnes de plus de 55 ans présentant des troubles cognitifs, respectivement physiques ou psychiques, a considérablement augmenté, et s’accompagne d’une prévalence croissante des maladies chroniques liées à l’âge ainsi qu’un besoin en soins palliatifs. Ces soins englobent toutes les mesures permettant de soulager la souffrance des personnes atteintes d’une maladie incurable et de leur offrir la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la fin. Le cas présenté en début d’article démontre de manière exemplaire comment, avec le soutien adéquat, les personnes ayant des troubles cognitifs peuvent être accompagnées dans leur environnement familier jusqu’à leur mort.
Ces personnes ont des besoins en soins palliatifs complexes sur le plan physique, psychosocial et spirituel ainsi qu’en termes d’information et de communication. Par conséquent, un accompagnement professionnel s’impose. Or, selon des études nationales et internationales, les soins palliatifs prodigués à ce groupe de personnes présentent toujours d’importantes lacunes. Les directives et consignes existantes visant à améliorer les soins palliatifs aux personnes ayant des troubles cognitifs se fondent sur des théories, des avis de spécialistes et des rapports de cas. Le point de vue des personnes concernées et des proches n’est souvent pas pris en compte. Selon une étude britannique, lorsque ces personnes sont en fin de vie, elles ont moins accès aux soins palliatifs spécialisés et reçoivent moins d’opioïdes pour soulager leurs douleurs que les personnes sans handicap. L’accès difficile aux soins palliatifs est particulièrement problématique au regard de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, entrée en vigueur en 2008.
Absence de directives dans les institutions
Le rapport «Soins palliatifs pour les personnes vulnérables» (Amstad, 2020), rédigé sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), présente clairement les champs d’action et les lacunes dans le domaine des soins palliatifs généraux et spécialisés en Suisse. Il se fonde notamment sur les résultats d’une étude menée au niveau national sur les soins palliatifs aux personnes ayant des troubles cognitifs (Wicki & Meier, 2015). Selon les résultats de cette étude, l’âge moyen de décès des personnes présentant des troubles cognitifs est d’environ 57 ans en Suisse. Elles décèdent donc près de 25 ans plus tôt que la population générale. Les auteurs et autrices de l’étude en concluent que les soins palliatifs sont déjà une réalité avant l’âge de la retraite pour ce groupe de personnes et concernent aussi les institutions où celles-ci résident durant leur vie active. Pourtant, la plupart des institutions n’ont pas de directives relatives aux soins palliatifs ou aux décisions à prendre en fin de vie. Au moment de l’enquête, près d’un tiers d’entre elles ne garantissait pas un accompagnement jusqu’au décès. Un autre tiers était en mesure de le faire seulement si cela n’impliquait pas d’accompagnement de nuit ou d’importants besoins en soins de longue durée.
L’exemple suivant relaté par une éducatrice sociale illustre bien les conséquences du manque de connaissances en matière de soins palliatifs:
«Elle avait de graves troubles cognitifs. Puis le diagnostic est tombé: l’intestin ne fonctionnait plus correctement, il ne fallait lui donner plus que de petites quantités à manger. [...] Trois à quatre semaines plus tard, l’équipe avait l’impression qu’elle se rétablissait. On lui a donc à nouveau donné à manger. Puis elle est décédée. Pour la préparer, j’ai dû la tourner sur le côté, et [...] tant de liquide s’est écoulé. Notre équipe lui a simplement donné à manger et à boire, et elle n’a pas pu le digérer. Quelqu’un aurait dû dire ‹stop›. [...] S’il y avait eu plus de personnel infirmier, quelqu’un l’aurait sûrement remarqué. Non, cela ne doit plus se reproduire [...] C’était très dur pour moi.»
Développement d’un concept de soins palliatifs
Les échanges avec des spécialistes issus de la pratique, des équipes de recherche et les autorités le montrent: en Suisse, il n’y a pas de concepts de soins palliatifs interinstitutionnels et interprofessionnels pour les personnes ayant des troubles cognitifs. Tant les collaboratrices et collaborateurs des institutions, surtout actifs dans le domaine de l’accompagnement socioprofessionnel, que le personnel soignant dans les EMS, les hôpitaux et les services mobiles et stationnaires de soins palliatifs spécialisés indiquent ressentir de l’incertitude et du surmenage quant à l’accompagnement de ces personnes lorsqu’elles sont en fin de vie. En outre, il n’existe à ce jour aucune donnée sur l’expérience des personnes ayant des troubles cognitifs et de leurs proches concernant les soins palliatifs en Suisse.
Un projet de la Haute école spécialisée de Suisse orientale (PAL_LINK) vise à développer un concept de soins palliatifs et de fin de vie pour les adultes présentant des troubles cognitifs en Suisse orientale. Il a aussi pour but de créer un réseau national permanent permettant aux personnes concernées, aux proches et au personnel spécialisé d’échanger sur ce thème. Les personnes intéressées sont cordialement invitées à rejoindre ce réseau.
Nouvelle offre de formation continue en Suisse orientale
Début 2025, le Centre de formation de la santé et du social du canton de Thurgovie lancera le cursus de formation continue «Palliative Care für Menschen mit Beeinträchtigung»(«Soins palliatifs pour les personnes en situation de handicap») pour la Suisse orientale. S’adressant aux éducatrices et éducateurs sociaux ainsi qu’aux assistantes et assistants socio-éducatifs, ce cursus permet d’acquérir des connaissances de base sur les structures de soins et la mise en réseau interprofessionnelle dans le domaine des soins palliatifs, sur la prise de décision et les plans de soins anticipés, sur la gestion des symptômes ainsi que sur l’accompagnement en fin de vie et durant le processus de deuil.
Pour en savoir plus sur la formation (uniquement en allemand):
www.ost.ch/pal-link
Les autrices
- Daniela Bernhardsgrütter, MScN, collaboratrice scientifique, Institut des sciences infirmières appliquées, Haute école spécialisée de Suisse orientale;
- Katharina Linsi, chargée de la formation et responsable de la formation continue en soins palliatifs, Centre de formation de la santé et du social, Thurgovie;
- Katja Leiggener, MScN, membre du groupe directeur du groupe professionnel Soins palliatifs et responsable du service de soins palliatifs spécialisés, Centre Hospitalier du Haut-Valais;
- Nisha Andres, éducatrice sociale, engagée à titre privé en faveur des soins palliatifs et des personnes en situation de handicap.