ENTREPRISES SOCIALES | «Bienvenue dans un hôtel unique!»
En Valais, l’équipe du Martigny Boutique Hôtel compte deux tiers de personnes avec une déficience intellectuelle, actives dans les domaines du service, de la cuisine et de l’intendance. À l’origine de cette initiative d’intégration, la Fondation valaisanne en faveur des personnes avec une déficience intellectuelle, particulièrement dynamique en matière d’accompagnement socioprofessionnel.
Le directeur d’INSOS, Peter Saxenhofer, s'interrogeait dans ces mêmes colonnes, à propos de l’importance que nous, société et individus, accordons à l’intégration des personnes en situation de handicap: «Est-ce que nous acceptons de nous faire servir au restaurant par une personne en situation de handicap?» Au Martigny Boutique Hôtel, dont les deux tiers du personnel sont des personnes avec une déficience intellectuelle, la question ne se pose pas. Aux clientes et clients qui séjournent pour la première fois dans l’établissement valaisan, l’équipe de la réception lance un joyeux «bienvenue dans un hôtel unique en Suisse!», avant de leur expliquer la particularité du lieu. Quant au restaurant La Cordillère, il est fréquenté par une clientèle d’affaires, plutôt locale, qui vient par curiosité ou par solidarité, par commodité aussi. Il arrive que des personnes soient impatientes, exigeantes et parlent sèchement, fait remarquer Raphaël qui travaille dans le service depuis l’ouverture de l’hôtel, il y a huit ans. Il reconnaît cependant que les gens sont généralement agréables et bienveillants.
Un avis que partage sa collègue Claire-Lise, engagée elle aussi au service du bar et du restaurant et qui a découvert ce métier il y a trois ans. «Cela me plaît bien d’être en contact avec les gens.» Et c’est tant mieux, car il y avait beaucoup de monde au petit-déjeuner ce matin, rapporte-t-elle. Depuis, le calme est revenu. Tandis que la jeune femme range le buffet du petit-déjeuner, sa collègue Mégane s’affaire déjà en cuisine pour préparer les plateaux de fromage pour le petit-déjeuner du lendemain, sous l’œil attentif de Pascal, un accompagnant socioprofessionnel. Mégane a suivi une formation en cuisine proposée par l’Organisation romande pour l’intégration de la formation professionnelle (Orif). Elle a bien essayé de travailler au service, mais, définitivement, elle préfère l’atmosphère de la cuisine et la préparation des buffets froids pour les entrées et les desserts.
Une diversité de structures
Projet pionnier d’intégration sociale, le Martigny Boutique Hôtel est une initiative de la Fondation valaisanne en faveur des personnes avec une déficience intellectuelle (Fovahm). Depuis un demi-siècle, cette fondation déploie ses activités dans le Valais romand où elle accueille, accompagne et forme plus de 400 personnes dès l’âge de 18 ans. Le secteur socioprofessionnel de la fondation se caractérise par la diversité de ses structures: un centre de formation pour jeunes adultes, 21 ateliers de production intra-muros, 14 ateliers intégrés dans des entreprises valaisannes (intégration collective), huit centres de jour et des mesures de soutien socioprofessionnel en entreprise (intégration individuelle). «Les personnes en situation de handicap ont des compétences», affirme Daniel Zufferey, directeur de la fondation. «Mais toutes n’ont pas les compétences ni l’envie d’être intégrées en entreprise», poursuit-il. «Certaines personnes se sentiront mieux en atelier intra-muros, même si elles ont des compétences pour travailler en entreprise. L’essentiel est que la personne ait le choix et soit à la bonne place.»
C’est cette même volonté d’élargir le choix des métiers proposés qui est à l’origine du projet du Martigny Boutique Hôtel. Pour en connaître l’histoire, il faut remonter au début des années 2000. «À l’époque, nous avons constaté que nous offrions peu d’emplois dans la restauration et l’hôtellerie, des domaines dans lesquels les personnes accompagnées avaient pourtant plein de compétences», se rappelle Daniel Zufferey. Il faudra attendre les années 2010 pour que le projet d’hôtellerie prenne forme. Et comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, la Fovahm décide de construire son propre hôtel. Ainsi, depuis l’automne 2015, l’hôtel se dresse dans un quartier commerçant de la ville de Martigny, à quelques minutes à pied de la gare. Chacune des 52 chambres porte le nom d’un ou d’une artiste peintre qui a fait l’objet d’une exposition à la Fondation Gianadda, partenaire du projet.
Créer des emplois utiles et valorisants
Au même titre que la Galerie Oblique ouverte en 2018, à Saint-Maurice, l’hôtel est une activité commerciale que la Fovahm exploite indépendamment de ses missions socio-éducative et socioprofessionnelle, et sans lien aucun avec le mandat de prestations qui la lie à l’État du Valais. Il est surtout un formidable outil pour créer des emplois utiles et valorisants. En plus de la vingtaine de professionnel·les de la restauration et de l’hôtellerie, trente personnes avec une déficience intellectuelle travaillent au sein des ateliers intégrés en entreprise dans les domaines de la cuisine, du service et de l’intendance, accompagnés par des maîtresses et maîtres socioprofessionnels.
«Il est difficile de trouver un hôtel existant offrant autant de places de travail pour des personnes en situation de handicap», motive Daniel Zufferey. Pour la fondation, l’intérêt d’être propriétaire est aussi ailleurs, puisque le lieu permet de promouvoir et valoriser les produits fabriqués dans les différents ateliers intra-muros de la fondation, notamment les produits de menuiserie, de cosmétique et d’épicerie fine. Des produits que l’on retrouve dans les chambres, à la table du restaurant ainsi qu’à la boutique située en face de la réception de l’hôtel.
«Différents, mais tous ensemble»
La direction de l’établissement a été confiée à un professionnel de la branche, Mathias Munoz. Comme pour toute entreprise privée, le directeur est responsable de la bonne gestion des ressources, à la fois humaines et financières, et veille au développement des affaires et à la qualité des prestations. Les défis auxquels l’hôtellerie est généralement confrontée ne sont pas très différents ici qu’ailleurs, estime Mathias Munoz. Selon la devise du lieu «différents, mais tous ensemble», le directeur a les mêmes exigences de qualité envers les employées et employés professionnels qu’avec les travailleuses et travailleurs en situation de handicap, quand bien même elles et ils sont employés par la Fovahm et non pas salariés de l’hôtel. Simplement, la façon de communiquer et le rythme de travail sont différents. «Si un client est mal accueilli, s’il mange mal et que sa chambre est mal nettoyée, il ne viendra plus. Et s’il n’y a plus de clients, il n’y a plus de travail, et, par conséquent, il n’y a plus d’ateliers intégrés non plus!»
Le Martigny Boutique Hôtel est un projet gagnant-gagnant: il valorise les compétences des personnes avec une déficience intellectuelle et, selon l’expérience de Mathias Munoz, il diminue le turn-over et l’absentéisme parmi les professionnel·les. «L’intégration en entreprise donne une autre couleur au travail quotidien. Par leur spontanéité, leur enthousiasme, leur engagement et leurs compétences, les personnes intégrées renforcent l’empathie, la responsabilisation et le sentiment d’appartenance au sein des équipes», constate le directeur hôtelier.
Daniel Zufferey s’en réjouit. D’autant plus que d’autres projets d’ateliers intégrés en entreprise, avec des partenaires locaux, sont à venir. «Il y a vingt ans, nous avions deux personnes intégrées en entreprise alors qu’aujourd’hui nous avons une centaine de personnes qui ont un poste en intégration collective et une cinquantaine en intégration individuelle.» Et de conclure: «L’intégration doit revêtir de multiples formes. Et notre responsabilité en tant qu’institution est d’offrir une variété d’opportunités professionnelles.»
Tout travail mérite salaire
En début d’année, la rétribution de cinq francs par mois versée à un jeune homme en situation de handicap pour ses menus travaux effectués dans un atelier protégé avait fait les gros titres des journaux. Qu’en est-il au Martigny Boutique Hôtel? «Le salaire d’une personne en situation de handicap travaillant à la Fovahm doit être appréhendé dans une approche globale», explique Daniel Zufferey, directeur de la fondation. Ainsi, le salaire est composé d’une rente AI complète – ce qui est le cas de la quasi-totalité des personnes accompagnées à la Fovahm – et d’une rétribution versée par la Fovahm pour le travail accompli en atelier. Les ateliers de la Fovahm rapportent un chiffre d’affaires global de trois millions de francs, duquel est soustrait un million de francs pour le financement des matières premières. Restent deux millions de francs de marge brute, dont la moitié est répartie en rétribution. «Nous pensons qu’il est juste que le chiffre d’affaires des ateliers couvre les matières premières, les rétributions des personnes accompagnées et qu’une partie participe à l’entretien de l’outillage et des machines ainsi qu’au fonctionnement des ateliers», précise encore Daniel Zufferey.
Les travailleuses et travailleurs des ateliers intégrés (cuisine, service et intendance) au Martigny Boutique Hôtel touchent 490 francs par mois, pour une moyenne de 27,5 heures par semaine (avec un accompagnement permanent), soit une rétribution horaire moyenne d’environ 4,10 francs.
Photo: amn