DURABILITE | Un chantier hors ­normes, au nom de la transition énergétique

16.02.2022 Anne-Marie Nicole,
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Construit il y a une cinquantaine d’années, l’ensemble des ­Minoteries est l’un des plus gros ensembles d’habitations ­appartenant à la Ville de Genève. Il a fait peau neuve courant 2020, après quatre ans d’un chantier de rénovation inédit. C’est un projet exemplaire, tant du point de vue de la transition énergétique que de la réhabilitation sociale.

 

Texte: Anne-Marie Nicole

Reconstruire ou rénover? Face à la vétusté des immeubles et à la dégradation des conditions de vie dans le quartier, la question était légitime. Construit dans la première moitié des années 1970 pour répondre à la pénurie de logements locatifs en Ville de Genève, l’ensemble des Minoteries n’avait jamais subi de travaux conséquents depuis. Par ailleurs, il était aussi devenu l’un des plus gros consommateurs d’énergie du patrimoine bâti de la Ville.

Sur une surface de 6000 mètres carrés, l’ensemble résidentiel des Minoteries compte 329 appartements répartis dans deux grands immeubles de sept allées et huit étages et quelque 600 locataires. C’est l’un des plus gros ensembles du parc immobilier appartenant à la Ville de Genève, qui comprend 90% de logement social et privilégie la cohabitation intergénérationnelle et la cohésion sociale. Le site comprend également une crèche, une école enfantine, une bibliothèque, des ateliers d’artistes, un centre médical, un foyer pour personnes polyhandicapées, un club des seniors, des locaux fonctionnels, des espaces communs et un square.

Alors: reconstruire ou rénover? L’objectif était double: il s’agissait d’assurer la transition énergétique de l’ensemble et de restaurer la qualité de vie par une mise aux normes en vigueur en matière de confort, de sécurité et d’accessibilité. Plus complexe à réaliser mais moins coûteuse, c’est finalement la deuxième option qui a été retenue.

Pour une meilleure qualité de vie

C’est ainsi un chantier à près de 93 millions de francs, impliquant plusieurs services municipaux – gérance immobilière, service social, patrimoine bâti et service de l’énergie –, qui a démarré en 2016. «Rénover deux bâtiments des années septante, énergivores et atteints par un vieillissement certain, était déjà en soi un défi. Les rendre autonomes sur le plan énergétique en plein cœur de la ville en était un autre.» C’est par ces quelques mots que s’ouvre le livre publié par la Ville de Genève pour retracer l’histoire d’un chantier de rénovation hors norme, qui a duré près de quatre ans.

Les façades et les toitures ont subi d’importantes interventions visant à améliorer l’isolation des bâtiments et à adapter les installations techniques aux normes énergétiques. Véritable innovation, un système de récupération de la chaleur des eaux usées des douches, sanitaires et cuisines des locataires permet d’approvisionner le réseau de chauffage et d’eau chaude sanitaire. Sur le toit, une centrale solaire hybride, photovoltaïque et thermique, de près de 800 mètres carrés et plus de 1000 mètres carrés de panneaux photovoltaïques alimentent en électricité et en chauffage les installations techniques et la crèche.

Vue aérienne de l’ensemble des Minoteries, alors que le chantier était encore en cours.

Vue aérienne de l’ensemble des Minoteries, alors que le chantier était encore en cours. Les panneaux thermiques et photovoltaïques ont déjà été posés sur les toits des deux immeubles. Photo: Ville de Genève | Didier Jordan

Une autonomie énergétique totale

Les travaux effectués ont permis à l’ensemble des Minoteries d’économiser les 500'000 litres de mazout consommés chaque année jusque-là. Les bâtiments sont totalement autonomes, produisant leur propre énergie, avec zéro émission de gaz à effet de serre. Le site est désormais en conformité totale avec la stratégie «100% renouvelable» de la Ville, laquelle s’est fixé pour objectif de chauffer intégralement son patrimoine immobilier avec des énergies renouvelables d’ici à 2050.

«C’est la première fois qu’un projet énergétique aussi ambitieux est réalisé sur un ensemble d’habitations d’une telle envergure», souligne Sébastien Schmid, adjoint à la Direction du patrimoine bâti. Il ajoute cependant que cette prouesse énergétique ne doit pas faire oublier un autre volet remarquable du projet: le dispositif exceptionnel mis en place pour accompagner les locataires des appartements durant les travaux.

En effet, la présence des quelque 600 locataires pendant les longs mois qu’a duré le chantier a indéniablement ajouté à la complexité de l’opération. Inspiré des façons de faire sur les chantiers en site occupé, développées par les célèbres architectes français Lacaton et Vassal, spécialisés dans la réhabilitation de cités et grands ensembles de logements, un système de rocade d’appartements a été mis en place.

Trente appartements relais accueillaient les locataires à tour de rôle durant six semaines, le temps nécessaire pour permettre les travaux dans leur propre logement, principalement l’aménagement des salles de bains pour une meilleure accessibilité des personnes à mobilité réduite, la transformation des balcons en loggias et les interventions sur les gaines techniques. Même si la norme SIA 500 concernant les «Constructions sans obstacles» n’a pas toujours pu être respectée à la lettre, des compromis ont été trouvés avec les autorités compétentes. «Ce n’est pas toujours idéal, mais c’est praticable», affirme Sébastien Schmid qui rappelle la difficulté qu’il y a à adapter les anciennes constructions aux standards actuels.

De nombreux acteurs impliqués

L’organisation des transferts temporaires d’appartements était d’autant plus délicate qu’il y a beaucoup de locataires âgés, parfois fragilisés et en perte d’autonomie. Deux médiateurs ont donc été intégrés dans le dispositif d’accompagnement avec pour mission de répondre aux questions des locataires, de les informer, de les consulter, de les rassurer, de démêler les situations compliquées et les éventuelles impasses de calendrier.

D’autres personnes ont aussi largement contribué au succès de ce projet d’assainissement: le gérant immobilier, les quatre infirmières du centre médical, les trois concierges, l’association des habitant·es des Minoteries, ainsi que quatre civilistes et une association d’aide aux personnes en situation de fragilité qui ont aidé les locataires à transbahuter leurs affaires. 

Entre les vibrations des marteaux-piqueurs, le bruit des perceuses, la poussière et le brouhaha continu, le bal incessant des ouvriers sur l’échafaudage devant les fenêtres ou leur passage régulier dans les appartements, les locataires ont vécu des moments de découragement, d’énervement et d’impatience.

Aujourd’hui, ils évoquent les points positifs de la rénovation: une meilleure insonorisation, une solidarité retrouvée, moins d’incivilités et de nuisances, des cheminements extérieurs plus sûrs ainsi qu’un accès facilité aux salles de bain et cuisines, notamment pour les fauteuils roulants. Et des charges de chauffage moins élevées. Mais le succès à long terme de la transition énergétique des Minoteries dépendra aussi largement des locataires, de leur comportement et habitudes de consommation individuelle. Des séances d’information ont d’ailleurs été organisées afin de leur en présenter les enjeux et les sensibiliser.

Forte de cette expérience, la Ville de Genève va poursuivre l’assainissement de son parc immobilier qui totalise 800 bâtiments.


Photos: Ville de Genève | Didier Jordan