«Tous les acteurs ­doivent assumer leurs responsabilités»

22.03.2023 Elisabeth Seifert

Relever les défis dans les soins de longue durée exige un changement de mentalité au sein de la société et une mise en œuvre substantielle de l’initiative sur les soins infirmiers. Les propositions du Conseil fédéral visant à améliorer les conditions de travail ne sont pas ­suffisantes, affirment Daniel Höchli, directeur d’ARTISET, et Markus Leser, consultant senior de l’association de branche CURAVIVA. Ils proposent un programme d’encouragement.

Fin janvier, le Conseil fédéral a présenté ses propositions concernant la mise en œuvre du deuxième paquet de mesures de l’initiative sur les soins infirmiers. Quelle est votre impression?

Markus Leser – Ces nombreuses propositions n’aboutiront pas à une véritable solution. Le Conseil fédéral considère que la mise en œuvre de l’initiative ne doit rien coûter à la Confédération. Il délègue donc l’entière responsabilité aux autres parties prenantes. Au lieu de soulager la branche, on l’accable davantage.


De meilleurs plannings, des suppléments de salaire en cas de modification de dernière minute des horaires, un skill and grade mix optimal: il n’y a pourtant rien à redire à tout cela?

Daniel Höchli – En étudiant le catalogue de mesures, on se rend compte que la priorité absolue est de n’entraîner aucun coût pour la Confédération. On dirait que l’administration a reçu comme tâche de suivre ce principe lors de l’élaboration des mesures. Il en ressort une contribution minimale pour relever l’important défi qui nous attend. Mais surtout, le train de mesures du Conseil fédéral ne se fonde sur aucune analyse à ce propos. Or, ce n’est qu’en s’appuyant sur une telle analyse que nous pourrons nous attaquer aux problèmes et définir des mesures efficaces.


Selon vous, quelle est l’ampleur du problème de la pénurie de personnel qualifié?

DH – Trois facteurs attisent la pénurie de personnel qualifié dans le domaine des soins: premièrement, le besoin en soins augmentera de plus de 50 % d’ici 2040 en raison de l’évolution démographique, comme l’a démontré un rapport de l’Observatoire de la santé publié l’année dernière. Deuxièmement, au cours des vingt prochaines années, les personnes partant à la retraite seront plus nombreuses que celles arrivant sur le marché du travail. Troisièmement, dans le secteur des soins, la rationalisation et les gains de productivité ne permettent que des économies de personnel très limitées.


Il en faut donc davantage que cette «politique de petits pansements» pour répondre aux besoins de personnel soignant?

ML – Un changement de mentalité au sein de la société est nécessaire. Celle-ci doit reconnaître la valeur des soins, surtout ceux de longue durée. Nous devons la réveiller. En effet, le système politique suit lentement la société et nous devons donc d’abord faire bouger la société afin que la politique aux niveaux fédéral, cantonal et communal agisse également par la suite.

DH – J’estime aussi que sensibiliser la société est essentiel. Nous parlons de pénurie de personnel, mais il s’agit en réalité de permettre aux nombreuses personnes qui auront besoin de soins et d’accompagnement dans les décennies à venir de vivre dans la dignité. Le défi consiste à créer un cadre afin d’éviter une forte dégradation de la qualité de vie d’une partie de la population.

ML – Afin d’établir ce cadre, nous devons réfléchir au-delà des étroites limites de la LAMal, qui ne se concentre que sur les soins médicaux. Ceux-ci ne suffisent pas pour que les personnes très âgées puissent vivre dans la dignité. Afin de lutter contre la solitude, par exemple, des structures dans les domaines de l’accompagnement sont aussi nécessaires.

DH – Nous sommes face à un défi sociétal global. La fédération ARTISET et ses associations de branche promeuvent depuis longtemps l’approche de l’environnement social: nous ne pouvons pas simplement déléguer les tâches d’assistance à des spécialistes. Nous n’en avons pas les moyens. L’implication des proches et des bénévoles est donc essentielle.

«Comme elle l’a fait pour l’offensive de formation, la Confédération pourrait contribuer à l’amélioration des ­conditions de travail pendant une période ­déterminée.»


L’initiative sur les soins infirmiers et le nouvel article constitutionnel ne permettent-ils pas à eux seuls de résoudre ces défis globaux?

DH – Il s’agit d’un enjeu de société qui va au-delà de la simple réglementation juridique. L’initiative peut certes aider à pallier la pénurie de personnel soignant, mais seulement si sa mise en œuvre est substantielle. En parallèle à l’offensive de formation, déjà adoptée, nous devons nous assurer de pouvoir garder le personnel formé grâce à de bonnes conditions d’embauche. Faute de quoi, l’offensive de formation sera vaine.


Vous estimez que les mesures proposées par le Conseil fédéral ne constituent pas une mise en œuvre substantielle de l’initiative. Que faudrait-il?

DH – Les conditions d’embauche ne peuvent pas être améliorées sans fonds supplémentaires. Davantage de fonds sont nécessaires, même s’ils ne peuvent pas garantir une amélioration des conditions de travail à eux seuls. Les coûts de la santé étant en augmentation, les acteurs en présence pensent souvent que les autres sont compétents en la matière. Le Conseil fédéral estime qu’il n’est pas responsable du financement et essaie de déléguer cette responsabilité aux financeurs résiduels, soit les cantons et les communes.

ML – Les acteurs sont peu disposés à collaborer. En cas de problème, la Confédération, les cantons et les fournisseurs de prestations ont tendance à penser que ce n’est pas de leur ressort et à se rejeter la responsabilité. Ce sont toujours les autres qui doivent agir ou payer. Or, toutes les parties doivent être prêtes à collaborer. Plusieurs cantons se sont désormais attelés à la tâche. Saint-Gall, par exemple, développe un concept de soins intégrés.

DH – On trouve des exemples similaires dans d’autres régions et cantons, comme le Tessin, qui dispose d’une planification générale dans le domaine des soins de longue durée ambulatoires et stationnaires.


La responsabilité principale en matière de soins de santé n’incombe-t-elle pas aux cantons?

DH – Sur le fond, si. Cependant, depuis l’adoption de l’initiative, la Constitution établit clairement que la Confédération et les cantons doivent veiller à ce que chacune et chacun ait accès à des soins infirmiers suffisants et de qualité. Par ailleurs, dans la LAMal, la compétence en matière de réglementation du financement des soins revient à la Confédération. Si celle-ci laisse l’entière responsabilité financière aux cantons et communes, elle n’a alors pas de grandes obligations. Certains cantons augmenteront leur financement résiduel, d’autres non. C’est là que notre proposition intervient: nous souhaitons créer un engagement, ce qui n’est possible que si tout le monde participe. Toutes les parties prenantes doivent assumer leurs responsabilités: la Confédération, les cantons et les prestataires.


En proposant un financement initial octroyé par la Confédération, vous souhaitez que toutes les parties prenantes œuvrent dans le même sens. Comment y parvenir?

DH – Comme elle l’a fait pour l’offensive de formation, la Confédération pourrait contribuer à l’amélioration des conditions de travail pendant une période déterminée. Elle inciterait de cette manière les cantons et les communes à lui emboîter le pas. Quant aux cantons, ils devraient également délier leur bourse. Comme pour ­l’offensive de formation, les établissements devraient en outre être mis à contribution et tenus d’appliquer certaines mesures pour améliorer les conditions de travail. Nous proposons différents modèles à cet effet. Une évaluation d’impact aussi simple que possible permettrait ensuite de vérifier l’efficacité des mesures.


Et qui assurera le financement pour de meilleures conditions d’embauche une fois le financement initial arrivé à terme?

DH – Pendant la durée du programme, nous recueillerons des données objectives afin de déterminer les mesures qui contribuent réellement à maintenir le personnel soignant plus longtemps dans la branche. Il s’agira ensuite d’augmenter les contributions AOS et le financement résiduel pour obtenir les montants nécessaires. Il est essentiel que les assureurs-maladie et les cantons apportent leur contribution.


Outre la Confédération et les cantons, vous considérez que les fournisseurs de prestations ont aussi un devoir à remplir…

ML – Sans fonds supplémentaires octroyés par la Confédération et les cantons, nous ne serons pas en mesure de relever les grands défis de demain. Néanmoins, nous devons aussi porter notre regard sur notre branche. Certains établissements affirment ne pas avoir de problèmes de personnel. Dans les conditions actuelles également, les employeurs ont la possibilité et la responsabilité de veiller à ce que les conditions soient les meilleures possibles.


À quoi pensez-vous en particulier?

ML – Il s’agit par exemple d’instaurer une bonne culture de travail. La direction de l’établissement a une grande responsabilité à cet égard. Il y a dix ans déjà, l’association de branche CURAVIVA a publié une brochure présentant des mesures que tout établissement peut mettre en œuvre. Il est également essentiel d’élaborer une stratégie axée sur l’avenir pour l’ensemble de l’entreprise. Les établissements gérés de manière moderne sont plus à même d’attirer du personnel et de le garder.

DH – Notre branche doit assumer ses tâches en ce qui concerne la culture d’entreprise ou l’organisation du travail. Nous n’avons toutefois pas encore résolu le problème de la pénurie de personnel. Les gens ne changent pas simplement d’établissement mais quittent le secteur, par exemple en raison d’une charge de travail trop lourde ou d’un manque de repos. Si l’on souhaite changer ces choses, davantage de fonds sont nécessaires.


Inciter les assureurs et les cantons à augmenter leurs contributions dans le cadre du financement ordinaire risque d’être un énorme défi, non?

ML – Si nous ne faisons rien, de nombreux établissements seront contraints de réduire leur nombre de lits à l’avenir. Qu’adviendra-t-il alors des nombreuses personnes très âgées qui ont besoin d’un accompagnement et de soins professionnels?

DH – Nous y parviendrons si la population prend davantage conscience que nous devons vraiment faire quelque chose. Mais nous n’y arriverons pas si la priorité absolue est d’empêcher la hausse des primes. En raison de l’évolution démographique, les soins de longue durée connaîtront une forte croissance. Ne sacrifions pas les personnes âgées au prétexte que les coûts de la santé ne doivent pas augmenter dans ce domaine.
 


Daniel Höchli est le directeur de la fédération ARTISET avec ses associations de branche CURAVIVA, INSOS et YOUVITA.

Markus Leser est consultant senior de l’association de branche CURAVIVA.
 


Un thème important aussi pour le domaine social

ARTISET plaide en faveur d’une extension du programme d’encouragement aux fournisseurs de prestations dans le domaine social. «Dans le domaine de l’accompagnement de longue durée également, la question d’une rémunération appropriée des prestations fournies et des conditions de travail adaptées aux nécessités se pose de plus en plus», peut-on lire dans un communiqué, de même que: «Les enseignements nécessaires peuvent à présent être tirés de la situation difficile que connaît actuellement le domaine des soins infirmiers afin d’éviter une évolution similaire dans le secteur social.» Sans mesures correctives, la pénurie de personnel qualifié s’accentuera aussi dans ce secteur, d’autant plus que les soins et l’accompagnement, qui font partie d’un système de santé global axé sur les besoins, ne peuvent plus être clairement dissociés.

Les propositions du Conseil fédéral à propos de la mise en œuvre du deuxième paquet de mesures de l’initiative sur les soins infirmiers.

Les détails du programme d’encouragement proposé par ARTISET et CURAVIVA.