SOIGNER L'ÂME | De patiente à experte grâce à son expérience
En bonne santé, malade. En clinique, après la clinique. Attendre, espérer. Andrea Zwicknagl connaît cette situation où notre âme crie, se débat, se tord. Près de vingt ans après son diagnostic de schizophrénie, elle s’engage pour une approche différente et plus nuancée des traumatismes psychiques et tente de combler les lacunes d’un système qui se révèle parfois insuffisant.
Elle est jeune et déterminée. Prête à entrer au couvent. Dans le silence, les vieux murs, l’univers de la vie des Saints et des psaumes. «J’étais fascinée par ce mode de vie anachronique», déclare Andrea Zwicknagl avec le recul. Après deux ans de visites régulières, une période d’essai de cinq semaines devait montrer si les feux pour un engagement à vie dans les ordres étaient au vert, aussi bien pour la communauté que pour l’aspirante religieuse.
L’entrée en matière est rude, le cadre strict: un entretien a lieu une fois par semaine, le reste du temps, on se tait. Tout est silencieux, très silencieux. «Si j’avais des questions urgentes, je n’avais personne à qui parler», se souvient Andrea Zwicknagl. Un cadre de vie nouveau, différent, des décisions existentielles qui doivent être prises. Et des pensées qui soudain se mettent à tourner, à se bousculer, qui ne lui laissent plus de répit. Tout est confus dans sa tête qui refuse de passer en mode «off». La jeune femme de 31 ans ne dort presque plus, elle arrive à peine à suivre les routines quotidiennes imposées par la vie monastique. Dans les temps de prière, les mots et les sentiments la submergent.
Une cassure, un diagnostic, un schéma
Les religieuses l’emmènent chez le médecin de famille, puis en clinique psychiatrique. Une expérience inédite pour cette chimiste de formation et conseillère en relations publiques, qui n’avait jusqu’alors guère été confrontée à des problèmes de santé, et encore moins à des problèmes psychiques. Elle est hospitalisée dix jours dans une clinique qu’elle quitte avec un diagnostic de psychose, des médicaments à haute dose et le sentiment de ne pas être en mesure de réaliser ce qui s’est passé.
«À cette époque, je n’avais simplement pas de mots pour décrire ma perception altérée des choses», confie d’un air songeur la jeune femme, aujourd’hui âgée de 51 ans. «Je n’avais pas encore eu le temps de donner un sens à ces expériences que le modèle d’interprétation psychiatrique m’a été imposé. Du jour au lendemain, j’ai été considérée comme malade, perturbée, une personne nécessitant un traitement.» Certes, des questions sur les symptômes ont été posées lors de l’admission afin de les classer en fonction du diagnostic, mais il n’y a eu pas de véritable dialogue. Ce n’est que bien des années plus tard qu’Andrea Zwicknagl a pu porter un autre regard sur ce qui s’est passé, à trouver les mots justes et à formuler certaines questions, même désagréables.
Des mots à la place des pilules, le dialogue à la place du monologue
«Pourquoi personne ne s’est alors intéressé à ce qui me préoccupait et à ce dont j’aurais eu besoin?» Il n’y avait pas d’échanges profonds, pas de partage. Elle remet aujourd’hui également en question de nombreux aspects de la prise en charge psychiatrique telle qu’elle l’a vécue: «On a essayé de remettre mon esprit sur les rails, de me faire passer du statut de malade à celui de personne en bonne santé à l’aide de médicaments.» La possibilité de réfléchir au conflit sous-jacent ne lui a pas été donnée, ce qui l’a privée de l’opportunité de mieux comprendre la véritable origine de ce qui s’était passé.
Selon Andrea Zwicknagl, un regard et une écoute plus attentifs auraient été plus judicieux dans son cas, y compris sur le long terme: «Lorsque j’étais au couvent, mon esprit a simplement tenté de résoudre un conflit intérieur sur un autre niveau de réalité », réfléchit-elle. L’explication psychiatrique selon laquelle la schizophrénie serait un trouble métabolique du cerveau qui peut être traité par des médicaments est trop limitée, estime Andrea Zwicknagl. «Ce n’est pas une maladie qui vient de nulle part; les antécédents et le contexte sont toujours importants.» Elle aurait sincèrement souhaité un dialogue ouvert avec elle ainsi qu’avec les sœurs de la communauté religieuse durant son séjour en psychiatrie.
Le tournant
Les choses ne se passent pas ainsi. Des portes s’ouvrent, d’autres se ferment. Comme celle du couvent, où la mère supérieure soumet l’admission de la jeune femme à la condition qu’elle se rétablisse. Compte tenu de l’âge avancé des religieuses, celles-ci ne disposent en effet pas des ressources nécessaires pour assurer un accompagnement adéquat en cas de nouveau choc psychique. Or, ce sont précisément ces épisodes difficiles et instables qui vont marquer les quatre années suivantes. À ce jour, une Andrea en parfaite santé, comme exigé pour entrer dans les ordres, n’existe pas. «Toute personne qui veut partager ma vie doit accepter l’éventualité d’une rechute», déclare ouvertement Andrea Zwicknagl.
Pourtant, cette femme habituée aux crises ne croit guère à ces conceptions toutes faites de «malade, perturbé» ni à leur contrepartie positive de «sain, normal». Elle trouve plus appropriée l’idée des possibilités que l’esprit choisit lorsqu’il ne sait plus quoi faire. D’un état particulier de l’être lorsque l’âme s’exprime. C’est au cours de sa formation d’accompagnatrice vers la guérison suivie auprès de l’association EX-IN en 2012 qu’elle porte un regard plus nuancé sur les traumatismes psychiques. Un véritable tournant sur son chemin vers la guérison: «C’est ici que mon processus de guérison a vraiment débuté, en prenant conscience que mes expériences sont importantes et ont de la valeur.»
«Nous sommes nombreux»: la force du réseau
Une réflexion aussi intense sur sa propre histoire est élémentaire lors de la formation entre pairs, ceci afin d’accompagner par la suite d’autres personnes confrontées à un traumatisme psychique. Un nouveau chapitre s’ouvre alors dans l’histoire mouvementée d’Andrea Zwicknagl: «Je ne me voyais plus comme une patiente obligée de lutter contre une maladie inquiétante et j’ai commencé au contraire à étudier plus attentivement ma vie intérieure, à prêter attention à ma vulnérabilité.» La curiosité succède à la peur, et la parole au silence.
La mise en réseau avec la communauté mondiale des personnes ayant un passé psychiatrique la conforte également dans son idée que les maladies mentales ne peuvent pas être traitées selon un schéma rigide. «C’est aussi libérateur qu’enrichissant pour moi de constater que de nombreuses personnes à travers le monde ont vécu des expériences similaires à la mienne et s’efforcent de trouver de nouvelles voies.»
Open Dialogue: communiquer autrement
Que signifie le rétablissement pour elle? À ce propos, Andrea Zwicknagl se plaît à reformuler quelque peu une citation de Vaclav Havel: «Le rétablissement n’est pas la conviction que quelque chose va bien finir, mais la certitude que quelque chose a un sens, quelle qu’en soit l’issue.» Une attitude qu’elle assume et consolide également dans ses fonctions actuelles. Notamment lorsqu’elle s’appuie sur son expérience pour accompagner les patientes et patients et leur accorder, en tant que pair, du temps, de la considération et une certaine curiosité sans préjugé. Et lorsqu’elle leur permet de garder l’espoir de surmonter un tel traumatisme psychique. «Le plus important pour beaucoup de ces personnes est de pouvoir parler à quelqu’un qui a vécu des expériences similaires et qui connaît les côtés sombres de l’existence», explique Andrea Zwicknagl.
La communication est également au cœur de son travail au sein du service psychiatrique de l’hôpital d’Interlaken, pour lequel elle effectue des missions d’accompagnement mobile de crise depuis 2018. Elle travaille ici selon le modèle Open Dialogue, autrement dit selon les approches dont elle aurait souhaité bénéficier lors de sa propre crise. Avec un·e accompagnant·e, elle rend visite aux personnes en état de crise aiguë à leur domicile ou dans leur environnement habituel. L’équipe de dix personnes est composée de spécialistes en psychologie, en psychiatrie, en soins, en travail social et de pairs. Comme son nom l’indique, Open Dialogue mise sur les discussions et le réseau des personnes concernées.
«Nous ne fournissons pas de programmes de traitement bien ficelés, nous voulons montrer aux gens que nous sommes là pour eux», résume Andrea Zwicknagl. Dans le meilleur des cas, cela permet d’éviter les hospitalisations et de trouver des solutions dans l’environnement proche de la personne concernée. Ou comme le dit Jaakko Seikkula, l’un des cofondateurs d’Open Dialogue: «Si chacune et chacun a le sentiment d’être entendu, nous n’avons pas besoin de proposer de solutions. Elles viennent d’elles-mêmes.»
Un sentiment d’appartenance fou
Andrea Zwicknagl est aujourd’hui engagée sur de nombreux fronts, elle partage son expérience, échange des idées et lutte pour le changement. En tant que pair, représentante des personnes concernées au sein du conseil de fondation de Pro Mente Sana, codirectrice d’un groupe Stimmenhören («entendre des voix»), conférencière dans des hautes écoles spécialisées ou directrice de cours au Recovery College de Berne. Elle participe à des colloques internationaux, travaille en réseau et entend montrer, en tant que militante, que la maladie et la guérison ne sont en fin de compte qu’une idée préconçue.
«Je mène une vie passionnante et variée, je me sens liée à de nombreuses personnes et j’ai pu reprendre le pouvoir d’interprétation sur moi-même et mon histoire», résume Andrea Zwicknagl. Aujourd’hui, dans son parcours, elle ne fait pas de distinction nette entre la raison et la folie, entre la guérison et la maladie: «Un jour, je prends la parole devant 300 personnes, un autre je me cache sous ma couette pendant trois jours. Mais ma vie est belle, non pas malgré mes expériences, mais grâce à elles. Le sentiment d’appartenance que j’ai toujours recherché, je l’ai trouvé parmi les gens qui, comme moi, ont été tenus pour fous. C’est encore plus varié et moins conventionnel que cela n’aurait jamais pu l’être au couvent.»
Construire sa guérison
La fondation Pro Mente Sana a publié une brochure sur le thème du rétablissement (en allemand/italien/anglais).
Télécharger la brochure
Les Recovery Colleges (Cliniques de Rétablissement), présents à Berne, Genève, en Suisse orientale, à Saint-Gall et à Zurich, proposent des formations et des échanges sur des thèmes liés à la santé mentale.
Visiter le site recoverycollege.ch
EX-IN Schweiz offre des formations par des pairs à des personnes qui ont fait l’expérience de la maladie psychique et du rétablissement (en allemand uniquement).
Visiter le site www.ex-in-schweiz.ch
Le réseau Stimmenhören.ch («entendre des voix») est un regroupement de personnes qui entendent des voix, de spécialistes et d’autres personnes intéressées (en allemand uniquement).
Visiter le site ntzwerk-stimmenhoeren.ch
Notre interlocutrice
Andrea Zwicknagl apporte son expérience, notamment en tant que représentante des personnes concernées au sein du conseil de fondation de Pro Mente Sana.
Photo : Adrian Moser