SANS MÉDICAMENTS | Faire revivre des moments réjouissants
La communication hypnotique pour accompagner les personnes âgées agit tel un élixir, comme le montrent des exemples de l’EMS St. Urban à Winterthour. Dans les situations de crise, les personnes accompagnées sont amenées tout en douceur, parfois avec un oiseau en train de planer, à se replonger dans des bons moments de leur vie.
Roland Krattiger place l’index de sa main droite sous le bout du bec de la mouette, que l’on fixe avec une certaine tension, car ainsi soutenu, il menace de basculer à gauche puis à droite. Mais il reste finalement en équilibre. Balance Bird, cet oiseau pour enfant aux ailes déployées, attire l’attention générale. Roland Krattiger, infirmier et chef d’équipe à l’EMS St. Urban de Winterthour, se sert de la mouette pour la communication hypnotique en cas de crise, comme il l’explique dans l’exemple qui suit.
Ce matin-là a de nouveau mal commencé pour cet homme d’un certain âge. Il manifestait de l’agressivité pour exprimer sa peur, comme le raconte Roland Krattiger: «Quand je suis arrivé dans sa chambre pour les soins, il a commencé à se fâcher et à pester, de sorte que je n’osais pas l’approcher ainsi. Je suis alors allé chercher la mouette magique, je suis revenu dans la chambre et la lui ai montrée en lui disant calmement: regardez ce que j’ai trouvé. L’homme s’est mis à fixer l’oiseau tenu en équilibre, que je lui ai tendu en lui demandant calmement: si vous étiez un oiseau, où vous envoleriez-vous maintenant? Vers mes chats, m’a-t-il répondu. Nous avons alors commencé à parler de ses chats. Il m’a décrit leurs particularités et m’a donné leurs noms. Les imaginer sous ses yeux lui a procuré un sentiment de bien-être, si bien qu’il s’est ensuite montré coopératif pour les soins.»
«Pour nous, l’oiseau est une aide précieuse», affirme la responsable des soins Andrea Ott: «Il permet de porter son attention sur autre chose. Pendant que les gens se concentrent sur lui, ils entrent un peu en transe.» Le détournement de l’attention pour s’approcher d’un état de transe est une étape importante de l’hypnose. Les infirmières et infirmiers de l’EMS St. Urban de Winterthour n’utilisent pas l’hypnose comme thérapie, mais comme moyen de communication dans l’accompagnement de leurs 120 résidentes et résidents, dont 60 sont hébergés dans un groupe résidentiel, 24 dans une résidence médicalisée et 36 dans deux structures adaptées à la démence.
L’empathie apporte des moments lumineux
La communication hypnotique consiste à accueillir l’état de crise ou de tristesse de la personne, puis à l’amener, tout en discutant avec elle avec empathie, à évoquer des moments positifs de sa vie, comme l’explique Andrea Ott prenant en exemple son échange avec une résidente dont le mari est décédé dans l’unité psychogériatrique. «Je l’ai croisée à la réception de notre EMS. Comme elle pleurait, je lui ai demandé ce qui la chagrinait. Elle m’a expliqué qu’il lui était difficile de continuer à vivre seule, sans son mari. Après l’avoir écoutée, j’ai cherché à savoir ce qui lui ferait du bien. Elle a répondu que sa famille et ses fils l’aidaient et la soutenaient.» Cette réponse a ouvert la porte à la communication hypnotique: Andrea Ott s’est alors renseignée sur sa famille, qui comptait d’ailleurs lui rendre visite le soir même. Elle a aussi appris qu’un nouveau petit-enfant était venu au monde. Après avoir remonté un peu le moral de la dame, la responsable des soins lui a raconté, en prenant un café avec elle, une histoire de circonstance apaisante tirée du livre de Daniel Link «Auf den Schultern des Windes schaukeln» (trad. se balancer sur les épaules du vent).
Andrea Ott a introduit la communication hypnotique comme instrument d’accompagnement il y a un an. Le cours de base, proposé par la Société Médicale Suisse d’Hypnose (SMSH), a déjà été suivi par les responsables d’équipe. Parmi les 120 membres du personnel soignant, 40 ont déjà participé à une demi-journée d’introduction. Au moins six collaborateur·trices de chaque service ont donc déjà acquis des connaissances dans ce domaine. Chaque semestre, de nouveaux membres du personnel peuvent suivre des cours et une fois par année, une anesthésiste spécialisée en hypnose vient proposer une mise à niveau au sein de l’EMS.
L’influence de l’hypnose sur l’ensemble du personnel
Andrea Ott souligne que la communication hypnotique incarne une attitude qui influence aussi le choix des mots lors de chaque entretien. En effet, «commencer un traitement en disant de ne pas avoir peur suscite de la peur chez son vis-à-vis. En revanche, si je lui dis qu’il peut se détendre et que je suis toute à son écoute, mon vis-à-vis aura une expérience plutôt positive de la situation.» Depuis qu’il a suivi le cours, Roland Krattiger aborde différemment les résident·es: «Autrefois, je leur disais: maintenant, c’est l’heure du déjeuner, je vais vous aider à vous laver. Aujourd’hui, je leur demande: êtes-vous déjà prêt·e pour la toilette ou vous faut-il encore du temps?»
Cette attitude a aussi des effets sur les entretiens individuels et l’approche des soignant·es en général, explique Andrea Ott: «Nous examinons certes les problèmes, mais sans nous obstiner. Nous nous concentrons plutôt sur ce qui marche bien. De là peuvent naître des amorces de solutions et des projets conduisant à une nouvelle approche des soins.» Andrea Ott est convaincue qu’en définitive, on peut utiliser cette attitude comme une sorte d’autohypnose: «Quand je suis stressée, je m’assieds, je ferme les yeux, je respire calmement et profondément, et je visualise un endroit paradisiaque aux Maldives.» Dans les soins précisément, où il manque du personnel, l’attitude que l’on a vis-à-vis de soi est importante.
Des fondements scientifiques
La communication hypnotique ne désigne pas simplement des exercices mentaux exprimés verbalement qui peuvent ou non fonctionner par le fruit du hasard. Bettina Kleeb, anesthésiste et thérapeute de la douleur à Berthoud, qui donne des cours au sein de la SMSH, explique que cette approche est scientifiquement fondée. Des participant·es à une étude ont ainsi évalué différemment un stimulus douloureux d’intensité 8 (échelle de 1 à 10) selon que le médicament leur a été administré sans commentaire (intensité évaluée à 7), en leur indiquant que «c’est actuellement vraiment le meilleur médicament» (intensité évaluée à 5) ou en leur disant que l’effet du médicament n’est pas encore connu (intensité évaluée à 8).
Bettina Kleeb souligne que pour les traitements médicaux, l’hypnose a plusieurs usages: pour accompagner les patient·es pendant l’anesthésie voire la remplacer, pour traiter des douleurs après une opération ou des douleurs chroniques, ou en cas de traitements dentaires. Des études cliniques attestent de son efficacité. Une étude en double aveugle auprès de 241 patient·es a ainsi révélé comment l’hypnose, contrairement à la sédation conventionnelle, agit sur les vaisseaux et les reins pendant la radiologie interventionnelle (Elvira V. Lang et al, Lancet 2000): elle a réduit l’intensité des douleurs de 7 points (1 au lieu de 8), la durée des douleurs de 195 minutes à 150 et le sentiment de peur de 6 points (1 au lieu de 7). De plus, sous hypnose, les interventions ont en moyenne duré 61 minutes au lieu de 78.
Le rôle pionnier de la Suisse romande
En mettant nos neurones dans un état bien particulier, l’hypnose modifie le fonctionnement de notre cerveau et le ressenti, comme l’a notamment montré par imagerie médicale l’anesthésiste Marie-Elisabeth Faymonville, de Liège (Belgique). Sous hypnose, des changements surviennent surtout dans le cortex cingulaire antérieur, qui joue un rôle dans la régulation de la pression artérielle et du rythme cardiaque, mais aussi dans les comportements de peur (Faymonville, M. E. et al., 2003).
L’hypnose médicale à des fins thérapeutiques a été introduite en Suisse romande. La neurologue Chantal Berna Renella, qui dirige le Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV à Lausanne, a prouvé dans une étude comparative que l’hypnose est efficace en cas de douleurs même quand le bon fonctionnement du système opioïde endogène, important pour la régulation de la douleur, est entravé par une médication (Chantal Berna et al Journal of Neuroscience, 2018). Quant à la communication hypnotique dans les soins, elle a été introduite il y a huit ans aux HUG par la pédiatre Claire-Anne Siegrist et l’anesthésiste Adriana Wolff. La SMSH organise et dispense donc aujourd’hui aussi des cours pour le personnel soignant. Pour le domaine clinique, la Société d’Hypnose Clinique Suisse (SHYPS) a été fondée dès 1985. Elle compte aujourd’hui plus de 350 membres. La SMSH entretient de bonnes relations avec les sociétés homologues européennes et internationales.
Cours de communication hypnotique
La Société Médicale Suisse d’Hypnose (SMSH) propose des cours spécifiques pour les professions de la santé, un cours de base de quatre jours et des cours de formation continue sur des thèmes précis. Lors du cours de base de quatre jours, on découvre les différences entre la communication hypnotique et l’hypnose médicale ainsi que la thérapie par l’hypnose, qui est appliquée en psychothérapie. Cela englobe le déroulement technique d’une communication hypnotique ainsi que l’autohypnose. Enfin, l’application en cas d’interventions médicales est abordée. Le cours a lieu à Balsthal, en allemand.
smsh.ch
L’Association suisse des infirmières et des infirmiers (ASI) propose une introduction à la communication hypnotique à Schwerzenbach (ZH)
sbk-asi.ch
Photo: Christian Bernhart