PROFESSIONS EN MUTATION | Les métiers se rapprochent

Kathrin Burkhardt, directrice de l’institution Jugenddorf à Knutwil, décrit la situation relative aux professions et au recrutement dans son institution. Mariette Zurbriggen, responsable chez ARTISET, évoque le développement des métiers ainsi que les principales compétences et revendications du personnel spécialisé.
L’institution Jugenddorf, à Knutwil (LU), emploie plus d’une centaine de personnes, surtout des éducatrices et éducateurs sociaux, qui accompagnent une cinquantaine d’enfants et de jeunes entre 14 et 25 ans. «Nous devons suivre les directives de l’Office fédéral de la justice et du canton concernant le ratio d’accompagnement et le niveau de formation et de professionnalisation du personnel. Sinon, les subventions nous sont coupées», explique Kathrin Burkhardt, la directrice. Puisque les jeunes peuvent y suivre une formation, le Jugenddorf compte aussi des collaboratrices et collaborateurs dans les domaines de l’accompagnement socioprofessionnel et de l’artisanat. Il emploie en outre des thérapeutes et du personnel infirmier.
Formation interne
«Concernant le recrutement, on observe des fluctuations, par exemple en fonction de la date de publication des offres – actuellement, c’est très difficile», relate Kathrin Burkhardt. Pour y remédier, le Jugenddorf propose une formation en interne. «Nous prenons bien soin de nos stagiaires, que nous regroupons ensuite dans un pool de ressources et que nous contactons en priorité si une place de formation ou un poste se libère», indique-t-elle. Pour les métiers artisanaux, l’institution compte sur des employés de longue date. Lorsqu’il s’agit de recruter des jeunes, la directrice constate que le choix n’est plus aussi vaste qu’auparavant. «Il est plus facile de trouver du personnel infirmier pour les quelques postes dans le cadre de notre offre thérapeutique car ces places sont attrayantes: elles impliquent un travail interdisciplinaire, de grandes responsabilités et un contact avec les jeunes», explique-t-elle. D’après son expérience, quelles sont les principales raisons de la pénurie de personnel qualifié tant déplorée? «Nous menons toujours un entretien de départ avec le personnel qui nous quitte», indique la directrice. Elle sait donc que le souhait d’avoir des horaires réguliers, sans service de nuit ou du week-end, est souvent décisif. Certaines personnes veulent aussi assumer des tâches de direction ou passer dans le domaine du conseil.
«Nous devons suivre les directives de l’Office fédéral de la justice et du canton concernant le ratio d’accompagnement et le niveau de formation et de professionnalisation du personnel.» Kathrin Burkhardt, directrice de l’institution Jugenddorf
Puisqu’elle en connaît les raisons, la directrice agit en conséquence: «Le personnel est la pierre angulaire de notre institution et je trouve important qu’il puisse se développer; nous soutenons donc financièrement les formations continues.» Elle estime aussi positif le fait que les collaboratrices et collaborateurs partent acquérir de l’expérience dans d’autres institutions puis reviennent après un certain temps. Le Jugenddorf dispose d’une planification annuelle pour que le personnel puisse s’organiser et veille à ce que de nombreux week-ends restent libres. Pour certaines situations complexes, l’institution recourt également à un conseil externe. La participation est une autre notion importante. Au Jugenddorf, elle se manifeste notamment par des groupes spécialisés, comme les groupes Innovation, Numérisation et Gestion de la santé en entreprise, qui initient des changements. De plus, l’institution met l’accent sur des attitudes et des concepts clairs, par exemple en ce qui concerne la gestion de la violence. L’engagement envers le personnel et une culture d’entreprise en conséquence semblent porter leurs fruits. «Les étudiantes et étudiants, qui se rendent dans plusieurs institutions, m’indiquent aussi que nous sommes sur la bonne voie», remarque Kathrin Burkhardt. Selon elle, il est préférable d’engager des personnes ayant une formation équivalente mais différente afin de réunir davantage de compétences spécialisées.
Interdisciplinarité et communication
Dans les métiers du social et de la santé, l’interdisciplinarité et la communication sont des thèmes importants. «Nous adoptons une approche systémique et interdisciplinaire et veillons à ce que les personnes chargées de l’accompagnement discutent souvent entre elles», explique la directrice. Pour faciliter les échanges, les thérapeutes viennent au Jugenddorf. L’institution a conclu un accord de collaboration avec le service de psychiatrie de Lucerne, qui met à disposition deux psychologues. En effet, d’après Kathrin Burkhardt, les jeunes ont un besoin croissant de soutien psychologique. Elle observe aussi une hausse dans le domaine de la psychologie légale, de plus en plus de jeunes étant assignés à l’institution par le Ministère public des mineurs en raison de délits. La communication occupe alors une place bien plus importante, et ce dans tous les domaines. Les parents se voient accorder un droit de participation plus étendu, car ce sont bien eux qui connaissent le mieux leurs enfants.
Auparavant, le personnel qualifié avait tendance à penser qu’il savait mieux que quiconque comment agir avec les enfants et les jeunes. La thérapie d’interaction systémique a provoqué un important changement de mentalité et les ressources des parents sont à présent davantage utilisées. La directrice voit dans le développement de la pédagogie par l’expérience une autre évolution cruciale des dernières années: «On a souvent plus de succès lorsqu’on va dehors avec les jeunes et qu’ils peuvent bouger.» L’accompagnement socioprofessionnel est une autre grande tendance, car les jeunes peuvent développer un état d’esprit dans le cadre de la formation et du travail et éprouver un sentiment de réussite, le résultat de leurs efforts étant concret et visible. Les échanges avec des spécialistes externes et les responsables du placement se sont professionnalisés et, par conséquent, le travail administratif et l’établissement de rapports plus importants.
Une bonne équipe est essentielle
Mariette Zurbriggen, responsable Développement des professions et du personnel Enfants et jeunes chez ARTISET, connaît bien la situation, du point de vue tant pratique que théorique. Elle observe que les difficultés à trouver du personnel qualifié dans le domaine social et de la santé entraînent des tensions, dans la mesure où soit les postes restent vacants pendant longtemps, soit les entreprises embauchent des personnes non spécialisées. «Cela modifie profondément le travail et peut aussi influencer la qualité de la prestation», indique-t-elle. L’une des raisons, à son avis, est l’évolution des représentations sur la manière de concilier vie professionnelle et vie familiale. Les personnes à la recherche d’un emploi souhaiteraient surtout une bonne équipe ainsi qu’un travail porteur de sens et un bon équilibre. Mariette Zurbriggen explique que ces aspects sont plus importants dans le domaine social que dans d’autres branches car les professionnels utilisent leurs compétences sociales et relationnelles au travail. «Les professionnels du domaine social s’impliquent personnellement et doivent entrer en relation avec les personnes accompagnées», souligne-t-elle. Mais cette dimension humaine, si cruciale, nécessite du temps et de l’espace. Or, elle est parfois mise de côté quand le personnel et le temps manquent. Les enfants et les jeunes sentent très bien si les personnes qui les accompagnent sont sous pression.
«Quand je discute avec des professionnels, outre une bonne équipe et un équilibre entre travail et loisirs, la reconnaissance du travail effectué est aussi souvent déterminante», déclare Mariette Zurbriggen. Il s’agit aussi de pouvoir faire bouger les choses et d’apporter sa pierre à l’édifice, le domaine social offrant une grande liberté d’action. Comment remédier à la pénurie de personnel qualifié, à son avis? «Divers facteurs entrent en jeu et les organisations doivent trouver leur propre solution car elles fonctionnent toutes différemment. De manière générale, il s’agit de développer une culture et une gestion soucieuses du personnel et d’avoir une certaine flexibilité pour rester agile.» Après tout, le marché du travail est un marché, justement, avec des courants et des tendances.
«Les domaines professionnels se rapprochent et de nouvelles connaissances viennent s’ajouter.» Mariette Zurbriggen, responsable Développement des professions et du personnel Enfants et jeunes chez ARTISET
Mariette Zurbriggen constate que les offres d’emploi classiques ne fonctionnent plus toujours du premier coup. Il faut alors patienter ou élargir le profil du poste si les candidats manquent. Pour certaines fonctions, on peut aussi embaucher des personnes issues de domaines connexes, bien que cela nécessite une initiation et un accompagnement appropriés. Par ailleurs, les écoles supérieures et hautes écoles spécialisées s’efforcent d’attirer plus de monde dans le domaine social et de la santé. Les personnes en reconversion professionnelle sont particulièrement appréciées car elles disposent de connaissances d’autres secteurs et d’une expérience de vie. Mariette Zurbriggen estime que la formation des étudiantes et étudiants dans les institutions mêmes est très efficace. «Dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse, les directives sont assez strictes: plus des deux tiers du personnel doivent avoir un diplôme du degré tertiaire», indique-t-elle. Ce qui est tout à fait pertinent, car un bon accompagnement des jeunes revêt une grande importance, aussi pour la société.
Et l’avenir
«Un mélange adéquat de professionnels est intéressant pour les entreprises», affirme Mariette Zurbriggen. «Quand des personnes de différents métiers travaillent ensemble, il existe un potentiel de friction, mais aussi de complémentarité.» Si l’on s’ouvre à d’autres points de vue, l’interprofessionnalité peut être très enrichissante. En raison de l’évolution de la situation et des besoins, les formations professionnelles réglementées sont examinées tous les cinq ans et, le cas échéant, adaptées. Les nouveaux métiers sont assez rares, indique la responsable, citant en exemple l’animation socioculturelle et communautaire. «De manière générale, les domaines professionnels se rapprochent et de nouvelles connaissances viennent s’ajouter», déclare-t-elle. Une autre tendance importante est celle de la généralisation de la formation initiale, la spécialisation n’intervenant qu’au niveau supérieur. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’avoir un métier par domaine. «Une formation initiale générale est intéressante pour le personnel car le champ s’élargit, mais pour les entreprises, cela implique un travail d’initiation plus important», remarque Mariette Zurbriggen. Une tendance supplémentaire qu’elle a observée est la formation des adultes, comme les formations accélérées grâce à la reconnaissance d’autres expériences. En outre, les formations pourraient devenir plus flexibles, ce qui permettrait par exemple aux personnes issues de la migration effectuant des tâches d’accompagnement d’intégrer plus facilement les métiers du social et de la santé. Un autre thème récurrent est bien entendu la numérisation et sa gestion, en particulier dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse. Enfin, les compétences transversales gagnent en importance. «L’apprentissage tout au long de la vie est essentiel dans tous les métiers, mais surtout dans ceux du social et de la santé», Mariette Zurbriggen en est convaincue.
Photo: Jojo Schulmeister, Jugenddorf Knutwil.