PROFESSIONS EN MUTATION | L’art de développer de nouvelles professions

Y a-t-il trop de professions dans le domaine de la santé et du social? Ou trop peu? Ou pas les bonnes? À première vue, la tâche semble simple: développer des professions attractives avec des profils de compétences adaptés aux besoins du monde du travail. La réalité est beaucoup plus compliquée, et Monika Weder le sait bien. Dans l'essai qu'elle livre ci-dessous, la responsable Formation d’ARTISET réfléchit aux différents facteurs à prendre en considération lors du développement de professions.
Il faut commencer par évaluer de façon structurée les besoins de la pratique, puis à les organiser en profils professionnels. Les premières difficultés apparaissent déjà: les entreprises ont des exigences différentes quant aux qualifications de leurs futurs collaborateurs et collaboratrices. Les institutions pour personnes en situation de handicap et pour personnes âgées ainsi que les hôpitaux, où les conditions sont variables, ont besoin de personnel qualifié dans divers domaines. Il s’agit dès lors de clarifier sur quoi peut porter la formation à un métier et où des diplômes spécifiques sont indiqués.
Il ne suffit pas de se baser sur les besoins de l’économie. Les professions doivent également susciter l’intérêt des personnes appelées à choisir un métier et à orienter leur parcours professionnel en leur offrant des champs d’activité intéressants et des possibilités de carrières attractives. Et c’est une exigence centrale dans le domaine de la santé et du social, lequel aura besoin de nettement plus de personnel qualifié au cours des prochaines années.
Actuellement, la question se pose de savoir s’il y a trop de professions et de spécialisations dans le domaine de la santé et du social. Et si, de ce fait, le travail est trop fragmenté, avec comme conséquence une baisse de la qualité de l’accompagnement et des soins malgré les compétences professionnelles élevées.
Le fait que de nombreuses spécialisations coexistent est aussi un signe positif du progrès scientifique et comme une conséquence des attentes accrues à l’égard du personnel qualifié. On peut donc argumenter que les professions et les diplômes ne sont pas trop nombreux, mais qu’ils servent à répondre à des exigences multiples, l’art étant cependant de trouver le juste milieu.
Directives et intérêts financiers
La Confédération fixe le cadre du développement des professions, qui est déterminant non seulement pour la qualité de la formation initiale et continue, mais aussi pour la reconnaissance, le statut officiel des diplômes et le cofinancement de la part des pouvoirs publics.
Dans le domaine du social et de la santé, beaucoup de tâches sont encadrées par des directives publiques, ce qui complique encore le développement. Plus particulièrement, les professions de la santé sont fortement liées à des concepts traditionnels et à des domaines de responsabilité bien définis, qui s’avèrent de plus en plus inadaptés. Les innovations sont difficiles à introduire: ainsi, le projet actuel consistant à permettre aux infirmiers et infirmières en pratique avancée d’accomplir des tâches jusque-là réservées aux médecins, se heurte à une forte résistance.
Comme les cantons financent une partie de la formation, ils s’efforcent de réduire au maximum les dépenses afin de minimiser les coûts.
Grand écart entre régions linguistiques
Une autre difficulté dans le développement de nouvelles professions est la nécessité de créer des standards de formation et des titres qui soient reconnus dans les trois régions linguistiques de la Suisse et qui ne fassent pas inutilement concurrence aux professions existantes. Les associations et les prestataires de formations de professions «voisines» veillent attentivement à ce que leurs diplômes ne soient ni concurrencés ni modifiés à leur détriment.
La Suisse est un pays multilingue avec des origines culturelles différentes. Par conséquent, les diplômes et leurs dénominations doivent être adaptés en français, en allemand et en italien. Le défi n’est pas seulement linguistique, il est aussi culturel car les traditions professionnelles et les approches de la formation ne sont pas les mêmes dans toutes les régions linguistiques.
«Il faut être capable d’intégrer les différents intérêts, les approches pédagogiques, les directives légales et les conditions-cadres financières.» Monika Weder, responsable Formation d’ARTISET
La répartition des compétences pour les professions au niveau national est un défi particulier auquel est confronté le domaine de la santé et du social: Savoirsocial pour les métiers du social, l’OdASanté pour les professions de la santé, l’OrTra intendance et diverses autres organisations responsables. L’absence de vision globale rend difficile un développement coordonné des professions pour l’ensemble de la branche. L’ICT-Formation professionnelle, l’OrTra pour les technologies de l’information et de la communication, est également un partenaire intéressant dans l’avenir.
Intégrer des intérêts différents
La question centrale n’est pas de savoir s’il y a trop ou trop peu de professions, mais si elles répondent aux exigences plus complexes et apportent une solution aux difficultés croissantes dans le domaine de la santé et du social.
L’art de développer des professions, c’est surtout être capable d’intégrer les différents intérêts, les approches pédagogiques, les directives légales et les conditions-cadres financières, puis, de créer des solutions viables. Cela nécessite de la persévérance, de la patience et une volonté de compromis. De ce point de vue, les diplômes étaient étonnamment adaptés par le passé. Mais cela ne suffira plus pour les exigences futures. Des compromis sont nécessaires pour que les employeurs et les employé·es, les associations d’intérêts, les organisations du monde du travail, les prestataires de formation, la Confédération et les cantons trouvent des solutions porteuses d’avenir.
Ce processus requiert beaucoup de ressources et de temps, ce qui n’est plus d’actualité compte tenu de l’accélération actuelle de l’évolution. Les parties prenantes doivent faire preuve de plus d’audace pour s’affranchir de revendications qui étaient légitimes par le passé, et être plus rapides dans le développement et la mise ben œuvre.
Par exemple, il faut davantage de compétences «numériques» dans les institutions à tous les niveaux. L’avenir nous dira si de nouveaux diplômes doivent être développés à cet effet.