NUMÉRISATION | Comparaison intercantonale

12.02.2025 Elisabeth Seifert

Les institutions pour personnes en situation de handicap pourront à l’avenir transmettre un jeu de données standardisées sur une plateforme intercantonale. Cet outil de reporting numérique sera développé dans le courant de l’année. Rahel Jakovina, cheffe de projet chez Artiset/Insos, ainsi que Thomas Kenel et Alain Thomann, représentants de la pratique et directeurs de deux grandes institutions pour personnes en situation de handicap, présentent le potentiel de cet outil. 

Le financement du travail des prestataires dans le domaine social et de la santé constitue un défi permanent, aujourd’hui et dans les décennies à venir. De nombreuses personnes, avec ou sans handicap, auront besoin d’un soutien professionnel en raison de leur âge. Cela demande des moyens financiers adéquats. Par ailleurs, les besoins de ces personnes évoluent, ce qui nécessite de nouvelles structures d’offre. Dans ce contexte, tant les pouvoirs publics que les prestataires de services subissent une pression croissante pour allouer les ressources limitées le plus efficacement possible et investir dans des offres répondant aux défis futurs.  

Afin d’identifier les structures efficaces et d’anticiper les évolutions au sein de la branche, une banque de données numérique intercantonale, alimentée par les prestataires au moyen d’indicateurs standardisés et pertinents, peut apporter une aide précieuse. Via son association de branche Insos, la fédération Artiset développe avec trois hautes écoles spécialisées un tel outil de reporting pour le domaine social. Ce projet se concentre principalement sur les institutions pour personnes en situation de handicap. L’outil repose actuellement sur un petit jeu de données quantitatives en termes de ressources financières et humaines, qui sont recueillies de façon à peu près identique dans tous les cantons. À l’avenir, des données qualitatives telles que la satisfaction du personnel ou de la clientèle seront aussi intégrées. 

Les institutions peuvent apprendre les unes des autres 

Pour le modèle de base, une solution informatique de mise en œuvre sera élaborée dans le courant de l’année avec Besa Qsys AG, une filiale d’Artiset, explique Rahel Jakovina, cheffe de projet au sein de l’association de branche Insos. L’un des avantages de l’outil de reporting, selon elle, est qu’il permettra un apprentissage mutuel. «Les différentes organisations pourront comparer leurs propres indicateurs avec les valeurs moyennes de leur canton, de leur région et de toute la Suisse.» Divers filtres leur permettront en outre de se comparer avec des institutions de taille similaire et actives dans les mêmes domaines. 

Au développement de l’outil participent non seulement Artiset/Insos, la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse, la Haute école spécialisée à distance de Suisse et la Haute école de Lucerne, ainsi que des représentants de la pratique, notamment Thomas Kenel, directeur de la fondation Stiftung Behindertenbetriebe Uri (SBU), et Alain Thomann, directeur de l’institution Altra Schaffhausen. Ces deux établissements sont de grandes organisations, où de nombreuses personnes présentant divers handicaps vivent, travaillent et bénéficient d’un soutien et d’un accompagnement de la part de spécialistes de différents domaines.  

Thomas Kenel et Alain Thomann soulignent le fait que l’outil de reporting et les données collectées de manière standardisée permettront pour la première fois de comparer sa propre institution aux autres organisations au sein du canton, mais aussi et surtout au-delà des frontières cantonales. «Ces comparaisons avec d’autres établissements sont importantes pour nous améliorer et nous développer en tant qu’institutions», déclare le directeur de la SBU. La comparaison intercantonale en particulier aide les organisations à faire valoir leurs arguments auprès des autorités cantonales.  

«Cet outil de reporting nous permet à nous, les institutions sociales, de faire face aux cantons», souligne le directeur d’Altra Schaffhausen. Les cantons se comparent déjà entre eux actuellement en recourant à une comparaison d’indicateurs non publique (Keve), qui repose sur les tarifs cantonaux des différents niveaux de l’instrument d’évaluation des besoins BIA (besoin individuel d’assistance). 

Selon Alain Thomann, l’une des difficultés liées à cet outil déjà introduit dans presque toute la Suisse alémanique est que les institutions ont différentes pratiques. Ainsi, il est important de savoir si une institution exploite son propre bâtiment ou le loue et, si elle est propriétaire, comment l’immeuble a été ou est financé. De ce fait, certaines dépendent moins des fonds publics que d’autres. «Et d’un coup, les institutions qui s’en sortent sans posséder de biens immobiliers se voient dire qu’elles recevront dorénavant moins de fonds», reproche Alain Thomann. Pour Thomas Kenel, le problème réside dans le fait que le BIA n’est pas appliqué de manière uniforme: rien que dans les six cantons de Suisse centrale, il existe six solutions de mise en œuvre, ce qui complique la comparaison intercantonale. 

La branche assume ses responsabilités 

L’outil de reporting développé par la branche permettra, grâce aux indicateurs standardisés, d’éviter de comparer des pommes avec des poires. En outre, la branche assumera ainsi elle-même ses responsabilités, sans y être contrainte par les autorités cantonales ou nationales. Cela signifie également que la souveraineté des données reviendra à la branche, soit aux institutions sociales. Pour Thomas Kenel, il s’agit d’un élément important car les organisations pourront ainsi déterminer elles-mêmes les données sur lesquelles fonder leurs comparaisons. 

Le modèle de base incluant des indicateurs de gestion d’entreprise mettra déjà en évidence des différences très intéressantes entre les institutions, estiment les deux directeurs. Il sera ainsi possible de voir à combien s’élèvent les frais de personnel des organisations, par exemple. «Les institutions devront réfléchir aux raisons expliquant ces différences», déclare Thomas Kenel. Celles-ci peuvent être dues au fait qu’un établissement travaille moins efficacement qu’un autre. Elles sont peut-être aussi liées au type de clientèle: «À la SBU, nous avons besoin de nombreux spécialistes car les handicaps sont très divers.» 

Les deux directeurs estiment que la comparaison sur une longue période est particulièrement intéressante. «À la SBU, nous parviendrons peut-être à la conclusion que les personnes en situation de handicap très complexe bénéficieraient d’un accompagnement de meilleure qualité et plus efficace dans une institution spécialisée d’un canton voisin», explique Thomas Kenel.  

«Un énorme potentiel» 

Thomas Kenel estime que l’outil de reporting recèle un «énorme potentiel», notamment pour détecter suffisamment tôt les évolutions au niveau national et y réagir en conséquence. «Avec des données claires à l’appui, nous pouvons planifier nos stratégies en matière d’offre à plus long terme et sur un pied d’égalité avec le canton.» Il fait référence à la tendance de l’accompagnement ambulatoire à domicile, observée avant tout dans les cantons voisins d’Uri. «Nous devons donc réfléchir avec le canton à la manière dont nous voulons gérer cette évolution, qui nous concernera nous aussi.» 

Alain Thomann observe dans son institution une nette tendance à l’abandon de la structure de jour avec rémunération au profit de modèles de coaching professionnel et de structures de jour sans rémunération. «Si nous pouvions prouver ce genre d’évolutions, y compris dans d’autre cantons, à l’aide de données concrètes, nous aurions une meilleure base pour faire valoir nos arguments auprès des autorités.» 

La transparence qu’offre l’outil de reporting représente tant un défi qu’une chance pour les institutions, selon les deux directeurs. «La comparaison avec d’autres institutions aide à identifier les angles morts et à se remettre en question», affirme Alain Thomann. En fin de compte, la mission de toute organisation est de créer une offre qui puisse être financée et qui réponde à une demande. Les deux directeurs précisent toutefois que les institutions ne doivent pas être livrées à elles-mêmes pour interpréter leurs indicateurs. Ils estiment qu’il incombe à l’association et au monde scientifique de fournir les aides nécessaires. 

La standardisation, un grand défi 

L’élément central de l’outil de reporting est le modèle d’indicateurs, soit un jeu de données qui alimente l’outil pour permettre les comparaisons. Même si celui-ci ne disposera que d’un petit jeu de données au début, un modèle complet d’indicateurs a déjà été élaboré, indique Rahel Jakovina, coresponsable du projet. «Ces dernières années, nous avons mené de nombreuses discussions avec les cantons et les représentantes et représentants de la pratique afin de déterminer les indicateurs pertinents pour le développement de la branche.» 

Selon Rahel Jakovina, les institutions doivent actuellement transmettre de nombreuses données aux cantons mais n’en perçoivent pas toujours le sens ou le but. De plus, elles ne sont pas souveraines des données collectées et, souvent, n’y ont même pas accès, ce qui rend difficile toute comparaison sur une longue période. C’est face à ce constat qu’est née l’idée de l’outil de reporting.  

Lors des travaux visant à identifier les indicateurs pertinents, il est vite devenu clair, selon Rahel Jakovina, que la branche présentait deux problèmes fondamentaux compliquant grandement toute comparaison intercantonale de données: dans de nombreux domaines, rien n’est encore standardisé, que ce soit sur le plan du contenu ou de la technique. Contrairement aux indicateurs de qualité médicaux dans le domaine des soins, par exemple, les indicateurs du domaine social ne bénéficient guère de définitions uniformes au niveau national. En outre, les institutions enregistrent leurs données et informations dans de nombreux systèmes différents et selon diverses méthodes.  

Impliquer le plus d’institutions possible 

La version initiale de l’outil de reporting sera l’occasion de poser d’importants jalons pour résoudre ces deux problèmes. Le premier jeu d’indicateurs, qui a déjà été défini en collaboration avec les représentantes et représentants de la pratique, inclut des données dont le sens est univoque dans tous les cantons, par exemple des chiffres concernant les charges, l’effectif de personnel ou encore le taux de rotation. «Mais même pour ces indicateurs, nous constaterons probablement qu’ils ne sont pas interprétés partout de la même façon; nous devrons donc les affiner.» Sur le plan technique, soit la solution informatique en cours de développement, il s’agit d’élaborer un outil aussi convivial que possible, facilitant l’importation de données à partir de nombreux systèmes différents. 

«L’outil de reporting sera utile aux institutions participantes dès le début», souligne Rahel Jakovina. Surtout si le plus grand nombre possible d’organisations y prennent part. Les coûts pour les institutions doivent être fixés de manière à favoriser leur participation. «Outre le fait de bénéficier d’avantages, les institutions participantes contribueront ainsi au développement de la branche», explique-t-elle. Des indicateurs supplémentaires viendront enrichir peu à peu le modèle de base. «En collaboration avec la pratique, nous les définirons ensuite de plus en plus précisément.» L’outil sera ainsi plus complet, et son utilité accrue. 

Les données gagnent en importance pour la prise de décision politique. «Or, dans le domaine social, nous n’avons pas les bases nécessaires.» L’outil de reporting servira donc de point de départ.  

 


 

Photo: photo illustrative / Adobe Stock