Le voisinage, véritable source de soutien et de solidarité

21.03.2025 Interview: Anne Vallelian

La cinquième édition de l’Age Report, publiée en novembre 2024, propose une analyse des questions de voisinage et des relations de proximité chez les personnes âgées. Co-dirigé par Valérie Hugentobler et Alexander Seifert, ce rapport donne un éclairage nouveau sur cette thématique. Rencontre avec Valérie Hugentobler pour discuter des enseignements de l’enquête.

 

Madame Hugentobler, quelles confirmations et surprises l’enquête a-t-elle révélées?

L’enquête met en évidence plusieurs continuités dans les tendances observées. La majorité des personnes âgées continuent de vivre à domicile sans que leur situation ne se dégrade globalement. Cependant, il existe une forte hétérogénéité liée à des facteurs tels que les revenus, la santé, et le niveau de formation. Ainsi, 15 % des répondantes et répondants font état de difficultés financières, une réalité particulièrement marquée chez les femmes vivant seules et celles disposant d’un faible niveau de formation. Une autre constante ressort de l’enquête: les seniors restent attachés à leur logement et à leur commune. Beaucoup vivent dans le même logement depuis 25 ans ou plus et, même si celui-ci n’est pas toujours adapté à leur âge, ils ne veulent pas déménager. En matière d’améliorations souhaitées, le soutien social à domicile est souvent jugé plus prioritaire que les adaptations architecturales. Les seniors expriment un besoin accru de visites, qu’elles soient de proches ou de professionnels.
 

Avez-vous observé des différences entre les régions linguistiques?

Des différences notables se dégagent en effet entre les régions linguistiques, même si les écarts les plus marqués s’observent souvent entre milieux urbains et ruraux. Un point saillant concerne la présence plus développée des logements intermédiaires dans certains cantons romands, comme les appartements avec accompagnement. Ces solutions, qui permettent aux seniors de rester dans un environnement familier tout en bénéficiant de services, connaissent une popularité croissante. En Suisse alémanique, cette offre est plus limitée et le recours aux EMS reste plus fréquent. Le recours aux services d’aide et de soins à domicile est davantage ancré en Suisse romande et au Tessin. Ce contraste reflète aussi des différences structurelles: les maisons de retraite ont progressivement disparu en Suisse romande, contrairement à la Suisse alémanique où elles existent encore. Les seniors en Suisse romande et au Tessin rapportent des relations de voisinage plus fortes que leurs homologues alémaniques.
 

Pourquoi avoir choisi le thème du voisinage?

Il existe différentes manières d’appréhender l’habitat, notamment en s’intéressant au territoire de vie et à l’environnement relationnel. Dans un contexte où de plus en plus de personnes vivent seules, souvent sans le soutien immédiat de la famille, cela nous semblait être une thématique intéressante. Face à cette évolution, le voisinage devient un relais indispensable pour prévenir l’isolement social: des gestes simples, comme remarquer si les volets sont ouverts ou fermés, permettent d’alerter en cas de détresse et de mobiliser rapidement l’entraide locale. Cette dynamique contribue à renforcer les liens sociaux et à forger un sentiment d’appartenance à une communauté.

«Des différences notables se dégagent entre les régions linguistiques. La présence plus développée des logements intermédiaires dans certains cantons romands, qui permettent aux seniors de rester dans un environnement familier tout en bénéficiant de services, connaissent une popularité croissante.» Valérie Hugentobler, professeure à la Haute école de travail social de Lausanne (HETSL HES-SO) 

Comment la forme d’habitat influence-t-elle la vie de voisinage?

Le lien entre la forme d’habitat et la vie de voisinage se manifeste par la manière dont le cadre de vie favorise (ou non) les échanges entre résidentes et résidents. Ainsi, dans les maisons individuelles ou les petits immeubles, les relations de voisinage tendent à être plus fréquentes et qualitatives. Les habitantes et habitants, souvent propriétaires et installés depuis longtemps, nouent des liens durables et une véritable entraide. Cette dynamique est particulièrement visible en milieu rural. À l’inverse, dans les grands immeubles et les milieux urbains, l’anonymat et la densité de la population peuvent rendre la formation de relations plus difficile, ces liens se tissant alors plus lentement. Toutefois, il convient de souligner que ces constats représentent des tendances statistiques qui varient. En définitive, la qualité et la fréquence des interactions de voisinage dépendent étroitement de la configuration de l’habitat et du lieu de vie, sans oublier l’importance de la stabilité résidentielle et des ressources mises en œuvre pour entretenir ces relations.
 

Comment le renforcement des liens de voisinage peut-il compléter et améliorer les modèles traditionnels de prise en charge des seniors?

Les politiques publiques se sont concentrées sur la prise en charge de seniors via des structures socio-sanitaires. Il devient néanmoins urgent de relever d’autres défis, notamment celui du soutien à domicile à travers des prestations sociales diversifiées, au-delà des seuls soins. Les prestations d’accompagnement à domicile demeurent peu développées (et non financées par les assurances sociales) alors que le besoin se fait ressentir. Recréer du communautaire et favoriser le tissage de liens entre voisins représentent des leviers importants pour lutter contre l’isolement. Ces dynamiques relationnelles, qui ne se construisent pas d’un coup de baguette magique, nécessitent l’intervention d’acteurs professionnels à l’instar des référentes sociales pour encadrer et animer ces initiatives. La mise en place de supports de proximité, tels que des espaces conviviaux ou des cafés, ainsi que l’organisation d’activités régulières au sein des quartiers, apparaît donc comme une solution prometteuse.
 

Selon l’enquête, 23 % des personnes interrogées souhaiteraient davantage de relations de voisinage. Comment les favoriser et les faire vivre?

Il est nécessaire d’agir à différents niveaux. Il est tout d’abord essentiel d’avoir des espaces où les personnes peuvent se rencontrer et échanger. Il est également essentiel d’adapter les lieux de vie si on parle de logement stricto sensu. Il faut penser à l’aménagement, adapter là où sont les gens actuellement. Il s’agit d’un défi majeur pour les collectivités et les propriétaires immobiliers qui sont peu sensibilisés à ces questions-là et l’aide fait défaut. La réussite de ces transformations nécessite donc une mobilisation concertée des politiques publiques et une aide accrue aux initiatives locales, lesquelles risquent de s’essouffler sans un soutien institutionnel et financier adapté.


Quels enseignements-clés peut-on tirer de cette enquête?

L’enquête met en lumière l’importance des liens de voisinage, qui constituent une véritable source de soutien et de solidarité pour les habitantes et habitants. Bien que la famille demeure le premier pilier d’appui, les relations de voisinage apportent une dimension complémentaire essentielle. Par ailleurs, la diversification des types de lieux de vie permet aujourd’hui d’offrir aux citoyennes et citoyens des environnements plus adaptés à leurs besoins. En outre, les seniors disposent davantage de connaissances sur cette variété de logements et peuvent ainsi mieux se projeter. Il apparaît indispensable de développer des espaces communs attrayants, de mobiliser les bailleurs sociaux et d’encourager la présence de professionnels à même de favoriser les relations sociales, comme des travailleuses et travailleurs sociaux au sein des quartiers ou des référentes sociales dans les lieux de vie.
 

Quel devenir pour ce rapport, notamment dans le cadre des politiques publiques?

Le devenir du Age Report est actuellement en discussion au sein des fondations qui le financent, et il est encore trop tôt pour en définir les contours précis. À ce jour cette thématique fait également l’objet d’une réflexion au niveau fédéral: un rapport est en cours d’élaboration, porté par l’Office fédéral du logement, l’Office fédéral du développement territorial et l’Office fédéral des assurances sociales, qui sera présenté au Conseil fédéral dans le cadre des mesures issues du Plan d’action sur la pénurie de logement. Face à l’évolution démographique et à la nécessité de proposer des logements adaptés aux besoins des personnes âgées, ce rapport pourrait apporter une contribution intéressante. Il manque aujourd’hui des enquêtes qualitatives, notamment autour des questions liées au déménagement et à l’accompagnement social aux transitions. Face aux défis liés au vieillissement de la population, il est crucial de développer des projets, d’adopter une approche inventive et de renforcer la documentation qualitative afin d’offrir une vue d’ensemble plus systématique et cohérente pour orienter les politiques publiques.

 


Âge Report V: Habitet, veillir et voisiner 

La cinquième édition de l’Age Report met l’accent sur la thématique du voisinage. Cet ouvrage s’appuie sur une enquête représentative menée auprès de 2644 seniors à travers toute la Suisse pour dresser un état des lieux des conditions de vie et de logement des personnes âgées. Dix-neuf chercheuses et chercheurs issus de diverses disciplines et régions du pays y analysent l’impact des dimensions sociales et spatiales des espaces de vie. Ils s’intéressent au rôle que joue le voisinage dans le quotidien des personnes âgées et comment, à leur tour, elles contribuent à façonner leur environnement résidentiel. L’Age Report V, sous la direction de Valérie Hugentobler et Alexander Seifert, est disponible en français et en allemand.

www.age-report.ch