«La rencontre est le premier pas vers la participation»
Une attitude ouverte et partenariale envers les personnes ayant besoin de soutien, le personnel, les institutions et les autorités: tel est la maxime de Rahel Stuker, la nouvelle directrice d’INSOS*. Sur cette base, elle présente les premiers thèmes prioritaires de son travail, marqué par la mise en œuvre de la CDPH.
Madame Stuker, comment se sont passés vos premiers mois en tant que directrice de l’association de branche INSOS?
Pour moi, l’un des points forts est la collaboration avec de nombreuses et nombreux collègues intéressants, engagés et compétents au sein du secrétariat général d’INSOS. Je viens d’une institution où seule une petite partie du personnel travaille au sein du secrétariat général, la majorité intervenant à l’extérieur dans l’accompagnement et l’encadrement de personnes en situation de handicap. Ici, j’apprécie beaucoup l’échange, réunissant différentes perspectives, domaines spécialisés et disciplines. Je trouve aussi inspirante la présence de collègues de Suisse romande et de Suisse italienne.
En tant que directrice d’INSOS, vous êtes aussi en contact avec les nombreux prestataires de services pour personnes en situation de handicap. Avez-vous déjà vécu de premières expériences dans ce domaine?
Au sein du secrétariat général, nous travaillons toujours en collaboration avec les membres du Conseil de branche et de la Conférence de branche, soit avec les représentant·es des institutions. Et bien sûr avec les secrétariats généraux des membres collectifs cantonaux d’INSOS. Cette année, je souhaite visiter au moins une institution par semaine. Il me semble important de prendre conscience des besoins des institutions sur place et de découvrir la diversité de leurs offres.
J’ai par ailleurs hâte de participer ce printemps aux assemblées des membres organisées par les membres collectifs. Je me réjouis de rencontrer des personnes en dehors du secrétariat général.
Vous mettez l’accent sur les échanges et les rencontres: pourquoi est-ce si important pour vous?
Cela correspond à mon attitude face à autrui. En tant que responsable, j’ai constaté qu’une attitude ouverte influence de manière très positive la culture d’entreprise. Pour moi, être ouverte signifie être consciente du fait que je ne suis pas parfaite et que je peux apprendre en rencontrant d’autres personnes. Pour moi, cette attitude a toujours été et reste primordiale dans l’accompagnement de personnes en situation de handicap.
Pourquoi soulignez-vous l’attitude ouverte envers les personnes accompagnées?
Dans nos contacts avec «la personne différente» ou «la personne inconnue», nous éprouvons encore et toujours de la peur et de l’insécurité. J’en ai fait l’expérience à maintes reprises dans le cadre de mes précédents emplois à la Croix-Rouge suisse et à l’igs, la Communauté d’intérêts de la psychiatrie sociale du canton de Berne. L’attitude à l’égard des migrant·es ou des personnes ayant des troubles psychiques ou cognitifs représente souvent un défi pour la société. La recherche a montré que «les personnes différentes» ne font pas particulièrement peur aux personnes qui les côtoient, mais plutôt à celles qui ne les côtoient pas. Il faut donc créer des rencontres. Dans cette optique, davantage de prestations seront proposées aux personnes dans leur propre environnement résidentiel. Les offres vont donc se diversifier. La mission d’INSOS est de soutenir cette évolution. Nous ne devons pas simplement nous agripper aux anciennes pratiques.
Actuellement, le financement axé sur la personne est introduit au niveau cantonal, qui favorise cette évolution. Quels retours avez-vous reçu de la part des institutions?
Les grands cantons de Berne et de Zurich ont introduit le financement axé sur la personne au 1er janvier 2024. Nous avons donc encore peu d’expérience concernant l’effet d’un tel financement axé sur la personne en pratique. En raison de la longue période de préparation dans le canton de Berne, les institutions sont peut-être plus à même d’en évaluer les conséquences que celles dans le canton de Zurich. À cela s’ajoute le fait que la mise en œuvre du financement axé sur la personne varie d’un canton à l’autre. De manière générale, je constate qu’elle représente un grand défi pour les institutions, au niveau de la planification. En effet, à l’heure actuelle, il est difficile d’estimer à quelles prestations les personnes en situation de handicap recourront réellement.
La création de rencontres permet donc de réduire l’insécurité?
En me fondant sur mes activités précédentes, je peux affirmer que les rencontres représentent la clé de la participation et de l’inclusion. Celles-ci doivent être empreintes d’ouverture. Cela signifie aussi que nous, spécialistes, ne devons pas cataloguer les personnes accompagnées, ni penser savoir ce dont elles ont besoin. Il importe plutôt d’aller à leur rencontre avec un esprit ouvert et nous enquérir de leurs préoccupations. En leur permettant d’exprimer leurs souhaits et en les écoutant, nous permettons l’autodétermination et la participation, ce qui correspond pleinement aux postulats de la CDPH. De telles rencontres sur un pied d’égalité provoquent toujours des déclics, qui me font progresser personnellement.
«Pour moi, faire preuve d’ouverture signifie savoir que je ne suis pas parfaite et que je peux apprendre lors de mes rencontres avec d’autres personnes. Cette attitude a aussi toujours revêtu une importance primordiale pour l’accompagnement des personnes en situation de handicap.» Rahel Stuker
Pouvez-vous mentionner des projets réalisés dans le cadre de vos activités précédentes?
Comme exemple concret, je tiens à citer le projet Radio Locomotivo, dans le cadre duquel des personnes avec et sans troubles psychiques réalisent des émissions de radio. Les rencontres entre les animateurs·trices radio sont une grande source d’inspiration. L’auditoire ne remarque même pas si les animateurs·trices présentent un handicap ou non. Le fait que l’igs accompagne une partie de sa clientèle au sein de logements coopératifs a également un effet d’intégration. Ces personnes intègrent ainsi le microcosme de la coopération et sont moins «exclues». Ainsi naît un échange dans le but de percevoir l’autre comme son égal.
Comment les postulats de la CDPH changeront-ils le monde des institutions et, de ce fait, le travail de l’association de branche INSOS?
La CDPH et ses deux grands principes, à savoir l’autodétermination et la participation, concernent les personnes en situation de handicap. Nous souhaitons soutenir les institutions dans l’aide qu’elles apportent aux personnes accompagnées pour gagner en autodétermination et en participation. Cela représente toutefois un défi, car les institutions peuvent se trouver dans une situation conflictuelle. Les fournisseurs de prestations stationnaires resteront certes nécessaires, mais moins qu’actuellement.
Comment relevez-vous ce défi qui se présente aux institutions?
De manière générale, l’économie et le monde du travail sont marqués par des changements permanents, qui exigent une grande capacité d’adaptation. En raison du changement de paradigme, soutenu par la CDPH, le secteur social est tout particulièrement concerné. Nous devons nous diversifier et être prêts à modifier nos offres. Les institutions peuvent, d’une part, développer un éventail d’offres plus large et plus perméable et, d’autre part, collaborer avec d’autres prestataires de services. Il faut toutefois aussi accepter que certaines offres ne seront peut-être plus nécessaires à l’avenir.
Comment évaluez-vous la collaboration entre cantons et institutions, notamment au vu de votre longue expérience de directrice d’une institution sociale?
Les cantons et institutions doivent se considérer comme des partenaires qui exécutent conjointement le mandat d’accompagnement social. Cela ne fonctionne pas parfaitement dans tous les cantons. Je souhaite notamment concourir à l’amélioration de la collaboration entre nos membres collectifs et les autorités cantonales. Il me semble particulièrement important que la Confédération et les cantons fassent preuve de mesure concernant les dispositions relatives à l’assurance qualité. En effet, les dispositions réglementaires se sont multipliées ces dernières années. La charge administrative ne cesse ainsi d’augmenter, ce qui laisse de moins en moins de temps pour la véritable mission des institutions, à savoir l’accompagnement et l’encadrement. Je souhaite aborder proactivement ce domaine thématique.
Outre la réduction des règlementations, quelles tâches jugez-vous importantes en matière de collaboration avec les cantons?
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative sur les soins infirmiers, qui concerne avant tout les établissements de soins, les institutions sociales ne doivent pas être oubliées, par exemple s’agissant de l’amélioration des conditions de travail. Les institutions sociales sont elles aussi de plus en plus touchées par la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Nous devons ici aussi collaborer aux niveaux supracantonal et national. Cela inclut le développement de nouveaux profils professionnels afin d’affecter au mieux le personnel spécialisé.
«Il me semble particulièrement important que la Confédération et les cantons fassent de nouveau preuve de mesure concernant les dispositions relatives à l’assurance qualité.» Rahel Stuker
Début décembre, le Conseil fédéral a ouvert la consultation sur la révision partielle de la loi sur l’égalité des personnes handicapées: est-ce qu’elle favorise une meilleure intégration de personnes handicapées, notamment dans le monde du travail?
Suite aux annonces de mars dernier, nous attendions des mesures concrètes visant à promouvoir l’intégration au travail. L’accent est désormais mis sur la création de mesures préventives adéquates contre la discrimination, qui ne doivent toutefois pas trop peser sur les employeurs. Cette nouvelle notion juridique est encore assez vague; son importance et sa portée devront sans doute être d’abord définis. Son objectif premier, qui est d’empêcher la discrimination des personnes en situation de handicap, doit cependant être salué. Nous ferons part de nos réflexions lors de la consultation.
Comment jugez-vous la disposition des employeurs à donner une chance aux personnes en situation de handicap sur le marché du travail général?
Nous nous réjouissons particulièrement que des groupes de sociétés actifs dans toute la Suisse, comme la Poste, fassent davantage d’efforts dans ce domaine. Depuis quelque temps, la Poste permet à des personnes en situation de handicap de participer au marché du travail général. Cet engagement entraîne certes des coûts, mais favorise l’esprit d’équipe, comme l’affirme le personnel. Cela m’impressionne. Avec des organisations partenaires du monde économique, nous souhaitons développer d’autres modèles de bonnes pratiques.
Vous êtes-vous sentie bien représentée par INSOS lorsque vous étiez directrice de l’igs? Ou, en d’autres termes, qu’est-ce qui pourrait être amélioré?
L’igs étant une institution assez petite, le précieux travail de fond réalisé par INSOS dans différents domaines m’a beaucoup aidée. Il me tient maintenant à cœur de rendre ces prestations plus visibles. Les avantages d’une adhésion deviennent ainsi encore plus évidents. Pour les institutions, nos membres collectifs, c’est-à-dire les associations cantonales, revêtent une grande importance: INSOS doit donc aussi leur fournir de bonnes prestations.
À votre avis, quelles sont les principales prestations d’INSOS?
Les journées d’étude organisées par INSOS favorisent grandement l’apprentissage mutuel et la mise en réseau au sein de la branche. Naturellement, la mise à disposition des connaissances et la représentation des intérêts politiques revêtent aussi une signification centrale.
En tant que directrice d’INSOS, vous êtes aussi membre de la direction d’ARTISET. Quelles opportunités de collaboration avec les associations CURAVIVA et YOUVITA voyez-vous?
Le domaine social et celui de la santé se recoupent de plus en plus en Suisse, ne serait-ce que parce que les personnes en situation de handicap vivent plus longtemps et ont donc besoin de soins. Inversement, de plus en plus de handicaps se manifestent avec l’âge. À cela s’ajoutent de nombreux autres thèmes, comme la pénurie de personnel qualifié, qui concerne les trois associations de branche. Je trouve donc la création d’ARTISET une idée géniale. À l’avenir, il faudra que nous exploitions encore mieux nos synergies. Le fait que tout le monde, sous l’égide d’ARTISET, œuvre à l’amélioration des prestations pour les personnes ayant besoin de soutien, est pour moi une source d’inspiration.
Rahel Stuker, née en 1970, est, depuis le 1er octobre 2023, directrice d’INSOS et membre de la direction d’ARTISET. Elle a suivi des études en ethnologie, en sociologie et en sciences religieuses, qu’elle a achevées par une licence. Elle a travaillé pendant plus de dix ans à la Croix-Rouge suisse, où elle a occupé diverses fonctions. De 2012 à 2023, elle a travaillé auprès de la Communauté d’intérêts de la psychiatrie sociale du canton de Berne (Interessengemeinschaft Sozialpsychiatrie Bern, igs Bern), notamment en tant que directrice de l’institution dès 2014. Rahel Stuker a deux enfants adultes et vit à Berne avec son partenaire.
Photo: esf