INNOVATION | Agir plutôt qu’attendre
Les nombreuses règlementations et le financement limité n’incitent pas les structures de soins de longue durée à développer des idées innovantes. Dans son essai, Markus Leser, consultant senior de l’association de branche CURAVIVA, encourage à participer activement à la recherche de solutions aux problèmes complexes, en faisant preuve de curiosité et de courage.
Dans cet article, je souhaite commencer par poser cette question: comment concilier l’innovation et le quotidien desétablissements médico-sociaux? À première vue, ces deux concepts semblent contradictoires. Après vingt ans de travail associatif, j’ai le sentiment que, dans le domaine de la santé, et surtout dans celui des soins de longue durée, nous formons une «communauté attentiste». Je participe régulièrement à des séances sur la recherche de solutions à des problèmes complexes liés à l’évolution démographique. Lors de ces réunions, on entend souvent dire «c’est à la Confédération, au canton, à la commune, aux assureurs de faire quelque chose ou de résoudre le problème», «tel ou tel devrait …», etc. Souvent, mais heureusement pas toujours, la question ne se pose même pas de savoir ce que nous-mêmes, en tant qu’organisation ou institution, pouvons entreprendre. L’innovation commence toujours dans sa propre institution. C’est la motivation intrinsèque de participer activement à la recherche de solutions à un problème, et ce, avant tout dans l’intérêt des résidentes et résidents et des collaboratrices et collaborateurs.
Curiosité et images positives
L’innovation et les réflexions qui les sous-tendent impliquent toujours de porter le regard sur les solutions et non sur les problèmes. Et c’est loin d’être aussi évident qu’il n’y paraît. Lors de l’assemblée générale de notre membre collectif ARTISET Uri, le directeur cantonal de la santé a fait un commentaire très intéressant. Durant son exposé, il a attiré l’attention sur le fait que, dans la branche, nous devrions choisir nos mots avec soin, car ils font toujours apparaître des images et des représentations chez les personnes qui nous écoutent. Il a demandé par exemple pourquoi nous parlions toujours de «pénurie de personnel» au lieu de «besoin en personnel», dont la connotation est positive. À mon avis, il a raison. En utilisant des termes tels que «pénurie» ou «situation d’urgence», nous renvoyons aux pires scénarios de notre quotidien, alors qu’avec des mots plus neutres et positifs, nous évoquons une situation qu’il convient d’explorer et de faire évoluer. Les innovations commencent toujours par la curiosité et les images positives qu’il faut atteindre et qui sont à la base de l’action innovante.
Ce qui nous amène au point suivant: celles et ceux qui initient des projets innovants et précurseurs n’attendent personne; elles ou ils agissent, tout simplement. Et pour cela, il suffit d’une chose: du courage. Voici un exemple. Sur sa page internet, le Bürgerspital Basel (BSB), écrit ceci: «Sur le nouveau site de Westfeld, le BSB propose une forme d’habitat innovante pour les personnes âgées, à mi-chemin entre le privé et le collectif. C’est une solution idéale pour les personnes qui ne veulent plus habiter seules et qui souhaitent un accompagnement adapté à leurs attentes personnelles.» Au troisième étage de l’ancien hôpital Felix Platter, rénové depuis, des studios privatifs reliés à différents espaces communs ont ainsi été aménagés.
Sortir des sentiers battus
Bien évidemment, de longues discussions sont nécessaires dans les institutions avant de pouvoir emprunter des voies nouvelles, voire inhabituelles. Mais il faut avant tout avoir le courage de sortir des sentiers battus. L’innovation s’accompagne toujours d’un risque résiduel. Reprenons l’exemple du Bürgerspital: les studios seront-ils loués? La demande évoluera-t-elle comme prévu? Ce sont des questions qui préoccupent les responsables. L’innovation ne peut pas avoir lieu sans un certain risque, même si celui-ci peut être évalué et modélisé du mieux possible.
Les modèles d’habitat innovants pour les personnes âgées en particulier s’alignent systématiquement sur les besoins de ce groupe cible. Quand ces derniers évoluent, des innovations sont nécessaires. Nous savons depuis longtemps que nous aurons besoin à l’avenir de formes d’habitat orientées vers l’environnement social afin de pouvoir répondre à l’approche intégrée de l’accompagnement et des soins des personnes âgées et très âgées. Sans une intégration de l’habitat dans les soins, notre branche ne saura relever les défis à venir. La vision «Habitat 2030» de CURAVIVA et l’outil ELiA (voir l’encadré) se fondent sur cette idée. De nombreux établissements médico-sociaux ont suivi ces évolutions et créé des offres innovantes dans le domaine de l’environnement social. Ils sont ainsi passés d’acteurs attentistes à des acteurs qui agissent ensemble.
Nous avons encore besoin d’un élément essentiel pour innover: du temps. Or, celui-ci fait défaut dans un quotidien professionnel étroitement structuré. Les directions des établissements se plaignent de plus en plus, à juste titre, que la charge administrative ne cesse d’augmenter, ce qui rend le travail quotidien plus difficile, voire l’entrave. En collaboration avec senesuisse, l’association de branche CURAVIVA a établi un premier aperçu des lois fédérales qui édictent des directives et génèrent un suivi administratif pour les établissements. Rien qu’au niveau national, il y a trente lois et ordonnances, sans compter les dispositions cantonales et communales. Un tel excès réglementaire freine l’innovation, cela va sans dire. Il y a pourtant de l’espoir. Chaque organe responsable a besoin d’au moins un ou une spécialiste qui a le temps et les compétences pour chercher des solutions innovantes, idéalement en collaboration avec des organisations partenaires intéressées. La mise en œuvre de solutions innovantes ne peut réussir que si elles sont ancrées dans les stratégies des établissements.
Travailler avec de nouvelles méthodes de réflexion
Voici un dernier exemple pour conclure: j’ai récemment été invité à un atelier avec des architectes d’intérieur. Celui-ci était animé et organisé selon la méthode du «design thinking». Il s’agissait de développer un modèle d’habitat innovant et orienté vers l’environnement social. Les participant·es avaient pour consigne d’imaginer ce modèle au moyen de briques Lego et de pièces Playmobil. C’était l’un des ateliers les plus intéressants auxquels j’ai eu l’occasion d’assister: un groupe d’adultes construisant ensemble un modèle en Lego. Certaines personnes penseront sûrement qu’elles n’ont pas le temps de jouer à ça. Je conseille pourtant à tout le monde de prendre le temps pour une telle démarche. Des réflexions innovantes peuvent ainsi se traduire en images concrètes. D’après mon expérience, les réunions ennuyeuses sont les moins propices aux innovations. Les images permettent d’aller beaucoup plus loin dans la mise en œuvre que les mots. Sans images communes, aucune innovation n’est possible. Essayez donc!
ELIA: Enable Living In Autonomy
Une prise en soins intégrée et orientée vers l’environnement social représente une voie prometteuse pour favoriser la qualité de vie des personnes âgées ou vivant avec des maladies chroniques. Pour que les institutions puissent bénéficier des expériences des autres, l’association de branche CURAVIVA, l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source et le senior-lab ont développé, dans le cadre d’un projet cofinancé par Promotion Santé Suisse, l’outil d’auto-évaluation en ligne ELiA, qui permet de planifier et de mettre en œuvre une telle réorganisation. Cet outil permet aux organisations intéressées par la prise en soins intégrée et orientée vers l’environnement social d’évaluer leur potentiel de développement. Les résultats sont présentés sous forme de diagramme en radar, favorisant une comparaison avec d’autres organisations (benchmarking) et un suivi dans le temps (réévaluations périodiques). L’outil ELiA propose par ailleurs des recommandations concrètes et individuelles en fonction du profil de l’organisation. L’utilisation de cet outil est gratuite.
Photo: Esf