INCLUSION PROFESSIONNELLE | La Suisse se préoccupe enfin de l’inclusion dans la formation professionnelle
Les jeunes avec difficultés d’apprentissage et/ou psychiques sont souvent exclu·es des formations professionnelles reconnues officiellement. Les commissions du personnel constituées d’autoreprésentant∙es revendiquent désormais l’intégration des offres de formation du privé dans le système de formation étatique. Les partenaires sociaux et étatiques ouvrent le débat au plus haut niveau.
L’article 24 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) ratifiée par la Suisse en 2014 stipule: «les États Parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à tous les niveaux». Ce qui signifie, entre autres, que les personnes en situation de handicap doivent avoir accès à la formation professionnelle initiale «sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances».
L’accès à une formation professionnelle initiale débouchant sur un certificat reconnu reste souvent fermé aux jeunes avec difficultés d’apprentissage et/ou psychique.
Même si une série de mesures ont été mises en place ces dernières années, l’accès à une formation professionnelle initiale débouchant sur un certificat reconnu reste notamment souvent fermé aux jeunes avec difficultés d’apprentissage et/ou psychiques.
Une réalité que le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a «relevé avec inquiétude» dans son récent rapport sur la mise en œuvre de la CDPH en Suisse. Il «recommande» donc aux pouvoirs publics de garantir à ces jeunes l’accès à des «programmes inclusifs et certifiés de formation professionnelle initiale».
Le sésame vers le marché du travail
Près de 10% des jeunes de 25 ans en Suisse ne disposent à l’heure actuelle ni d’un diplôme délivré par un établissement d’enseignement post-obligatoire de formation générale, ni d’une formation professionnelle initiale avec certificat fédéral de capacité (CFC) ou attestation fédérale de formation professionnelle (AFP).
Les titulaires de ces diplômes professionnels ont de bonnes chances de s’insérer facilement sur le marché de l’emploi.
Le groupe des jeunes gens concernés par cette situation est très hétérogène. Il inclut notamment des personnes migrantes qui n’ont pas (encore) la possibilité d’obtenir un diplôme officiellement reconnu en raison de barrières linguistiques et de lacunes scolaires, ou des jeunes adultes ayant d’autres projets de vie. Mais il inclut également les jeunes qui, en raison de difficultés d’apprentissage ou psychiques, ne remplissent pas les conditions requises pour une formation CFC ou pour une formation AFP, plus accessible.
Le CFC comme l’AFP sont clairement réglementés dans le système de formation professionnelle fédérale et sont soutenus et reconnus par les employeurs. Les titulaires de ces diplômes professionnels ont de bonnes chances de s’insérer facilement sur le marché de l’emploi. Pour permettre au plus grand nombre de jeunes d’obtenir un diplôme certifié et reconnu, il existe un large éventail d’offres de soutien, tant pour le choix de la profession que par la suite, durant la formation CFC ou AFP.
Inclusion Handicap critique «des compétences peu claires, des procédures compliquées et une pratique de garantie restrictive» lors de l’octroi de mesures pour compenser les inégalités.
Pour les jeunes en situation de handicap, la compensation des inégalités est particulièrement pertinente. Toute personne ayant conclu un contrat d’apprentissage peut demander au canton dont il ou elle relève des mesures adaptées à ses besoins individuels pour les situations d’apprentissage et d’examen.
Dans son rapport alternatif actualisé de février 2022, Inclusion Handicap, l’association faîtière des organisations de personnes handicapées, critique cependant «des compétences peu claires, des procédures compliquées et une pratique de garantie restrictive» lors de l’octroi de mesures pour compenser les inégalités.
Les jeunes qui, malgré une compensation des inégalités ou d’autres offres de soutien, ne parviennent pas à obtenir de diplôme AFP ont déjà la possibilité, depuis la loi sur la formation professionnelle de 2004, de faire valider individuellement leurs compétences.
Ce type d’évaluations individuelles de compétences indiquent les domaines de compétences dans lesquels une personne répond aux conditions exigées pour l’obtention d’une AFP. Une solution partielle, cependant: des évaluations individuelles de compétences n’ont été élaborées encore qu’au sein de quelques rares branches.
Pas d’obligation légale
Les jeunes qui ne parviennent pas à obtenir d’AFP et qui travaillent dans l’une des nombreuses branches professionnelles qui ne connaissent pas l’évaluation individuelle de compétences restent donc exclus d’une formation professionnelle initiale reconnue par les pouvoirs publics. Celles et ceux qui, en raison de leur handicap, n’ont pas la possibilité de terminer un apprentissage avec AFP sont concernés au premier chef.
Pour ces jeunes, l’association de branche INSOS a créé il y a 15 ans la Formation pratique suisse FPra. Il s’agit d’une formation de deux ans, standardisée au niveau national et accessibles.
Comme la FPra n’est pas intégrée au système de formation professionnelle étatique, il n’existe aucune obligation légale donnant droit à ce type de formation.
INSOS, qui représente les intérêts des prestataires de services pour personnes en situation de handicap, est responsable de la FPra, octroie l'autorisation de former aux entreprises et aux centres de formation, développe les contenus de la formation en collaboration avec les organisations de branche, et s’assure que ceux-ci sont étroitement liés à ceux de l’AFP et du CFC.
Pour Gabriel Fischer, en charge de la politique de formation de l’association de salarié·es Travail Suisse, les initiatives de ce genre ne vont pas assez loin. Un certain nombre de mesures destinées à éviter à ce groupe de jeunes de se retrouver sans aucune formation reconnue ont bien été mises en place. Mais sa critique porte sur le fait que «dans la mesure où la FPra n’est pas intégrée au système de formation professionnelle étatique, il n’existe aucune obligation légale donnant droit à ce type de formation». Il en va de même pour les évaluations individuelles de compétences, que les branches professionnelles n’ont aucune obligation d’adopter.
«Ce n’est que lorsque l’État en assume la responsabilité que de telles mesures et de tels instruments sont garantis sur les plans juridique, organisationnel et financier.»
«Un droit légal ne peut être obtenu qu'avec une reconnaissance officielle de la formation pratique ainsi qu'une obligation d'introduire les évaluations individuelles des compétences», souligne-t-il, en faisant référence à une réglementation en ce sens inscrite dans la loi fédérale sur la formation professionnelle (LFPr).
«Ce n’est que lorsque l’État en assume la responsabilité que de telles mesures et de tels instruments sont garantis sur les plans juridique, organisationnel et financier.» Ce qui permettrait également, selon lui, de répondre aux exigences de la CDPH relatives à un système inclusif de formation professionnelle.
Sur un pied d’égalité avec les autres partenaires
La formation professionnelle est une tâche qui relève du réseau de partenariat établi entre la Confédération, les cantons et les organisations du monde du travail. En ce qui concerne ces dernières, les partenaires sociaux – soit les organisations du personnel et les organisations patronales – jouent un rôle central. Dans le cadre de l'initiative nationale Formation professionnelle 2030, une structure rassemblant divers organes a été créée il y a un an et demi. Cette structure doit désormais faire reconnaître rapidement des formations très spécifiques, en particulier pour les personnes en situation de handicap.
Les «Forums de dialogue», dans lesquels toute une série d’acteurs font part de leurs préoccupations, sont particulièrement importants. Au sein du Forum de dialogue Employé·es, Travail Suisse a spécialement créé le groupe de travail «Accès à la formation pour les personnes en situation de handicap», où l'association de branche INSO est représentée.
Travail Suisse a spécialement créé le groupe de travail «Accès à la formation pour les personnes en situation de handicap»
En mai 2021, ce groupe de travail a déposé auprès du Forum de dialogue des Employé·es une proposition visant à réformer les formations professionnelles telles qu’elles figurent actuellement dans la loi sur la formation professionnelle «de façon à permettre à toutes et tous d’avoir accès à une formation professionnelle certifiée et reconnue, dans un système de formation inclusif».
Cette proposition a été acceptée par le Forum de dialogue Employé·es, ce qui lui a conféré le poids et l’importance nécessaires pour être désormais transmise au Secrétariat de la Conférence tripartite sur la formation professionnelle (CTFP). Au sein de la CTFP, les trois organes partenaires que sont la Confédération, les cantons et les partenaires sociaux assument ensemble, et sur un pied d’égalité, le pilotage stratégique de la formation professionnelle.
Le groupe de travail «Accès à la formation pour les personnes en situation de handicap» poursuit la discussion sur cette thématique. «Ces entretiens visent à déterminer si une proposition concrète de mise en œuvre ou un projet préparatoire peut être élaboré à l'attention de la CTFP», précise Gabriel Fischer. L’objectif des salarié·es est qu’un projet puisse finalement voir le jour dans le cadre de l’initiative Formation professionnelle 2030, qui est du reste le premier à se pencher sur la question de la formation professionnelle des personnes en situation de handicap.
Scepticisme par rapport à une réglementation juridique
Sans préjuger de quelque manière que ce soit du résultat des négociations en cours, Daniel Duttweiler, qui représente la Confédération, souligne de son côté: «Pour nous, l’essentiel est que les personnes en situation de handicap disposent d’un diplôme reconnu et accepté au niveau national.»
Daniel Duttweiler est à la tête du département qui pilote la politique de formation professionnelle au sein du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). Mais avant de réclamer l’application immédiate d’un certain nombre de mesures, il conviendrait, estime-t-il, de commencer par examiner ce qui a fait ses preuves jusqu’à présent et d’identifier les problèmes.
Daniel Duttweiler voit par exemple une alternative à une réglementation sur le plan juridique dans le fait d’encore mieux exploiter la marge de manœuvre qu’offre la loi actuelle. Il fait ici concrètement référence au droit dont disposent les apprenti·es qui ne parviennent pas à obtenir de diplôme AFP de faire valider individuellement leurs compétences. «Les salarié·es auraient la possibilité, en dialoguant avec les employeurs, de faire en sorte que ce type d’évaluations de compétences soient effectivement mises en place dans diverses branches.»
Des évaluations de compétences de ce genre, mais également d’autres attestations, mises sur pied en étroite collaboration avec chaque branche, seraient, selon lui, reconnues clairement au sein de l’ensemble des branches professionnelles, ce qui ne nécessiterait pas de réglementation formelle dans la loi. Pour lui, le système de formation professionnelle placé sous l’autorité de la Confédération a pour principale mission de réglementer les diplômes formels et de créer des passerelles vers ces formations.
À l’instar du représentant du SEFRI, Nicole Meier, à la tête du département Formation et formation professionnelle initiale et continue de l’Union patronale suisse (UPS) constate que le système de formation professionnelle suisse est axé sur les exigences du marché du travail. «Un certificat reconnu au niveau national doit refléter des compétences acquises, tant scolaires que pratiques, qui soient proches de celles requises par le marché de l’emploi», explique-t-elle. Selon elle, la formation professionnelle initiale avec AFP remplit ces conditions.
«Grâce à l’engagement de partenaires privés comme de partenaires sociaux, il est possible, en Suisse, de prendre en charge de nombreux besoins.»
On peut cependant se demander comment une formation peut à la fois être à bas seuil et garantir l’employabilité. Nicole Meier est d’avis que les évaluations individuelles de compétences, comme aussi les certificats de branche, constituent une bonne alternative pour les personnes en situation de handicap. Mais reste en revanche plutôt sceptique en ce qui concerne des dispositions juridiques à valeur obligatoire. Pour elle, les diverses branches professionnelles devraient rester libres de délivrer ce type d'attestations en fonction de leurs besoins. «Dans le cas contraire, la Confédération pourrait se retrouver en position de garantir des diplômes et des compétences inutilisables pour les employeurs, qui ne sauraient pas quoi en faire.»
En ce qui concerne précisément les personnes en situation de handicap, Nicole Meier se prononce en faveur de solutions individuelles, qui ne soient pas une charge supplémentaire pour elles et ne vienne pas non plus surcharger le système. Les organisations et les associations jouent ici un rôle important, et «cela fonctionne très bien». Elle souligne encore: «Grâce à l’engagement de partenaires privés comme de partenaires sociaux, il est possible, en Suisse, de prendre en charge de nombreux besoins.»
Pour Christophe Nydegger chef du Service de la formation professionnelle du canton de Fribourg et président de la Conférence suisse des offices de la formation professionnelle (CSFP), le constat est net et concis: «Le système actuel fonctionne très bien». «Il y a une solution pour presque tout le monde», précise-t-il, en se référant à la compensation des désavantages ainsi qu’à la collaboration avec les centres de formation cofinancés par l’AI et les cantons.
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