GASTRONOMIE | Cuisiner pour les enfants, un tour d’adresse

07.02.2024 Claudia Weiss

Au centre de l’audition et de la vue Landenhof Zentrum für Hören und Sehen, à Unterentfelden (AG), l’équipe de cuisine a élaboré un concept alimentaire proposant aux enfants et aux jeunes des plats à la fois alléchants et sains. L’institution a même reçu une distinction récompensant ses ateliers de cuisine pour enfants. Actuellement, l’ensemble du personnel apprend à répondre aux besoins spécifiques des enfants ayant une déficience visuelle.

Isabelle Bader s’arrête: dans la cuisine, sur un chariot, elle trouve un billet adressé à la «chère cuisine», qu’elle lit avec attention. «J’ai adoré le sandwich hier soir», a écrit avec soin une fille, ornant la note d’étoiles et d’un smiley. «J’en aimerais plus souvent», ajoute-t-elle. «J’aime beaucoup les repas que vous cuisinez pour nous.»

Isabelle Bader, responsable adjointe de la restauration au Landenhof, se réjouit de tels retours. «Visiblement, nous faisons bien notre travail», remarque-t-elle en souriant. Cette reconnaissance ne va pas de soi, car la clientèle du centre de l’audition et de la vue, à Unterentfelden (AG), est exigeante: près de 100 enfants et jeunes de l’école de jour et de l’internat de semaine «Hören» se ravitaillent chaque jour au Landenhof, ainsi qu’environ 80 adultes membres du corps enseignant ou du personnel, professeur·es externes ou participant·es à des séminaires. «Nous cuisinons généralement plus de 150 repas à midi», explique Isabelle Bader. Le plus grand défi? «Préparer des repas qui sont non seulement appréciés des enfants et des jeunes, mais qui sont aussi bons pour la santé.»

Un concept d’alimentation saine

L’équipe a élaboré un concept d’alimentation saine il y a 20 ans déjà, qu’elle développe en permanence: «Les repas préparés au Landenhof ont clairement valeur d’exemple, surtout pour les enfants et les jeunes, et suivent le modèle de l’assiette optimale», peut-on y lire. Le disque alimentaire de la Société Suisse de Nutrition (SSN) en constitue la base et, tous les deux ans, le «cercle de qualité interdisciplinaire pour la nutrition» procède à une vérification. Le concept présente les principaux éléments relatifs à l’alimentation des enfants et des jeunes de manière simple et adaptée au quotidien. Le principe est le suivant: «Une alimentation saine pour les enfants et les jeunes apporte tous les nutriments essentiels à la croissance physique et mentale.»

Pour les élèves du Landenhof, cela signifie qu’ils doivent «boire de l’eau, manger des légumes et des fruits, prendre leurs repas à intervalles réguliers, manger varié, savourer avec tous leurs sens et bouger». Pour l’équipe de cuisine, cela implique à la fois de «tenir compte des besoins des enfants et des jeunes» et de «veiller à la qualité et à la quantité». Ainsi, elle ne sert des aliments frits que toutes les trois semaines au plus et, le reste du temps, elle prépare des plats plus sains, mais tout aussi savoureux.

«Ce qui est clair, déclare Isabelle Bader, c’est que les repas sont fraîchement préparés. Nous cuisinons des plats variés, équilibrés, sains, de saison et, si possible, avec des produits de la région.» Cependant, entre les enfants et les légumes, ce n’est pas toujours le grand amour, comme le sait toute personne ayant déjà cuisiné pour des enfants. Comment Isabelle Bader parvient-elle à concilier souhaits et idéaux? Elle rit. Il y a des choses de l’on sait, tout simplement, quand on cuisine pour des enfants. «Le reste s’apprend très vite avec l’expérience quotidienne.» Concrètement, cela signifie que les accompagnements ne doivent pas être mélangés à des légumes, sinon beaucoup ne commencent même pas à manger. Isabelle Bader évite ainsi d’incorporer des petits pois à d’autres aliments: «Certains enfants resteraient assis jusqu’à 15 heures pour trier les petits pois.» C’est pourquoi ces légumes sont toujours bien séparés des autres aliments. «Aussi très important: ne pas ajouter de cornichons dans les sandwichs! On sait par expérience qu’on les retrouverait éparpillés dans toute la forêt l’après-midi.» De même, les petits points de la noix de muscade râpée ou le persil sur les pommes de terre sont rejetés par beaucoup d’enfants. «Nous proposons une cuisine simple et authentique, sans chichi», résume Isabelle Bader. Une barre de chocolat est prévue de temps en temps. «Cela ne pose pas de problème si les enfants et les jeunes ont une alimentation équilibrée», déclare-t-elle. Pour beaucoup, boire de l’eau est d’ailleurs devenu si naturel que certains sodas ont même dépassé leur date de péremption, se réjouit la responsable, tout comme des bouteilles de ketchup. Le principe de la cuisine du Landenhof est le suivant:

«Nous essayons de rendre les repas appétissants, mais ne forçons personne.» Après tout, l’équipe de cuisine n’est pas responsable de l’éducation des enfants, mais les parents ou, au sein des groupes résidentiels de l’école de jour et de l’internat de semaine, les éducatrices et éducateurs sociaux. Ceux-ci apprécient beaucoup l’étroite collaboration avec l’équipe de cuisine: «Si j’ai un souhait, je peux simplement le communiquer via l’intranet ou un billet, voire commander par téléphone à la dernière minute», explique Sandra Hocher, éducatrice sociale et responsable du groupe résidentiel «Herkules». «Je n’avais encore jamais vu un processus aussi simple.» À 11 h 45, tous les groupes résidentiels vont chercher à la cuisine leur chariot avec leurs boîtes de repas et se répartissent en groupes aux tables des différentes pièces. Ainsi, les enfants sont assis face à face et peuvent lire sur les lèvres. De même pour les groupes résidentiels: si un enfant refuse de manger quelque chose, il est encouragé à goûter, mais pas forcé. «Je connais des enfants et des jeunes ayant un trouble du spectre de l’autisme qui ne veulent manger que des pâtes sans accompagnement tous les jours», raconte Isabelle Bader. «Ici, c’est permis.»

«Le principe de la cuisine du Landenhof est le suivant: nous essayons de rendre les repas sains aussi appétissants que possible pour les enfants, mais ne forçons personne.» Isabelle Bader, responsable adjointe de la restauration

Cuisine pédagogique avec les enfants

Le concept d’alimentation englobe aussi le dressage soigné des tables, commencer et finir le repas ensemble, les manières à table et les discussions durant le repas. En outre, les élèves doivent apprendre à devenir responsables de leur alimentation. Lorsque l’internat comptait davantage d’enfants et de jeunes, Isabelle Bader leur proposait tous les mercredis un atelier de cuisine. À cette occasion, les jeunes participant·es, jusqu’à huit par atelier, apprenaient d’où viennent les aliments et comment préparer un repas. Ainsi, ils préparaient, éminçaient et cuisinaient ensemble de délicieux plats du monde entier. «Il m’arrivait d’organiser des après-midis à thème: cuisine grecque, italienne... toujours en m’adaptant à leur âge. Parfois, les enfants apportaient leurs propres recettes.» Isabelle Bader était toujours soutenue par une éducatrice sociale. Elle organisait ces après-midis avec plaisir: «J’essayais de montrer aux enfants qui rouspétaient sur les pommes de terre tout ce qu’on pouvait préparer de bon et de sain avec elles.» C’est précisément le but du concept d’alimentation: «Cuisiner ensemble a pour but de faire vivre de nouvelles expériences sensorielles.»

Les enfants, équipés de toques et de tabliers, appréciaient ces après-midis tout autant qu’Isabelle Bader. Une fois le travail accompli, ils mangeaient tous ensemble à la cafétéria. «Et, bien sûr, les repas préparés soi-même sont toujours les meilleurs!» Pour ce projet, placé sous le slogan «Cuisiner, manger et profiter ensemble», le Landenhof s’est vu attribuer, il y a quelques années, une distinction par la Société Suisse de Nutrition et par la Haute école spécialisée bernoise. Isabelle Bader regrette que ce ne soit plus si simple d’organiser de tels après-midis, depuis que de plus en plus d’enfants et de jeunes ne mangent au Landenhof qu’à midi: l’internat ne compte à présent plus que deux groupes.

«Si j’ai un souhait particulier, je peux simplement le transmettre via l’intranet ou un billet, et même commander par téléphone à la dernière minute. Je n’avais encore jamais vu un processus aussi simple.» Sandra Hocher, éducatrice sociale

Accueil d’enfants ayant une déficience visuelle

En revanche, des enfants et des jeunes avec une déficience visuelle rejoindront le Landenhof dès l’été 2024. Les collaboratrices et collaborateurs, y compris l’équipe de cuisine, apprendront donc ces prochains mois à répondre aux besoins particuliers de ces nouveaux élèves. «Pour l’équipe de cuisine, cela signifie notamment qu’elle devra préparer des assiettes avec des couleurs vives et des contrastes bien visibles», explique Petra Persello, responsable du service de pédagogie spécialisée en déficience visuelle. «Le chou-fleur, les pommes de terre et le poulet ne sont donc pas optimaux, du moins sur le plan visuel.» Pour aider les enfants, il faut aussi disposer les aliments toujours de la même manière sur l’assiette, laisser le passage libre dans la cuisine du groupe résidentiel et présenter une carte de menu simple et sans image.

Ce sont là des exigences supplémentaires pour l’équipe de cuisine. La liste affichée au mur, qui donne un aperçu des nombreux besoins des enfants à l’équipe de cuisine, est déjà bien remplie. Isabelle Bader montre l’affiche et explique: «Ici, nous voyons qui nous a transmis un souhait de repas et quel groupe résidentiel est en course d’école, en sortie en luge ou en excursion et a donc besoin de pique-niques.» Pour ces groupes, l’équipe de cuisine prépare soigneusement des boîtes de repas «standard», mais aussi véganes, sans lactose, sans gluten, sans beurre ou encore sans viande de porc. Dans tous les cas, l’équipe renonce aux oignons. Parfois, des enfants et des jeunes se glissent en cuisine et remettent un billet avec des souhaits particuliers, la plupart du temps exaucés par l’équipe.

Pour celle-ci, c’est certes un défi, affirme Isabelle Bader, mais le travail est très gratifiant: «Nous sommes ainsi en contact direct avec les enfants et les jeunes, qui, eux, se rendent compte du travail que demande la préparation de tous ces repas.» L’idéal, c’est lorsque les jeunes trouvent les plats si bons qu’ils écrivent un petit mot pour la cuisine: «J’en aimerais plus souvent, s’il vous plaît!»
 


 

Photos: Marco Zanoni