AUTONOMIE | Travail de pionnier pour la vie
Donato Lorusso et Natascha Oberholzer mènent une vie autonome dans leur propre appartement depuis plus de vingt ans. Ils ont fait partie de l’équipe d’origine du premier hôtel inclusif de Suisse. Ils partagent leurs expériences passées, racontent comment ils vont aujourd’hui et portent un regard sur leur autonomie au quotidien.
Situé en plein cœur de la ville de Saint-Gall, l’hôtel Dom offre un lieu de travail pour les personnes en situation de handicap depuis vingt-six ans. Si le concept est aujourd’hui plus fréquent, dans les années 1990, l’hôtel Dom a été le premier établissement de Suisse à proposer des emplois inclusifs. «Les premiers collaborateurs et collaboratrices ont fait preuve de courage en se lançant dans cette expérience, sans savoir si le concept allait fonctionner», affirme Ruth Kulcsar Meienberger, qui a fondé l’hôtel en 1998 et l’a dirigé les premières années avec Gaby Heeb. Donato Lorusso et Natascha Oberholzer ont fait partie de l’équipe des débuts.
«C’était une chance énorme; nous avons fait un travail de pionnier à l’hôtel Dom, et sommes même passés à la télévision.» Natascha Oberholzer
À l’occasion d’une visite chez eux, dans le quartier de Wolfganghof à Saint-Gall, ils évoquent leurs expériences passées et leur vie actuelle. Ils vivent ensemble dans un appartement avec leurs deux perruches et se racontent volontiers. «C’est drôle que nous nous voyions aujourd’hui: une rencontre avec l’ancienne équipe de l’hôtel Dom a lieu ce soir», fait remarquer Natascha Oberholzer. Elle est très ouverte et s’intéresse aux actualités internationales, car «chez nous, on discutait beaucoup, avec un père qui faisait de la politique». Aujourd’hui encore, elle entretient de bonnes relations avec ses frères et sœurs et son père. «Mes parents m’ont toujours bien comprise et ne m’ont jamais contrainte à quoi que ce soit», dit-elle, reconnaissante.
Emplois providentiels dans l’hôtellerie
Lorsqu’ils travaillaient à l’hôtel Dom, Natascha Oberholzer et Donato Lorusso n’étaient pas encore en couple; ils avaient été contactés par Ruth Kulcsar Meienberger et Gaby Heeb, pour savoir si un emploi les intéressait. Ruth Kulcsar Meienberger avait visité un hôtel de ce genre à Hambourg et voulait mettre sur pied un projet similaire en Suisse. «Nous avions la trentaine, à l’époque», se souvient Donato Lorusso, originaire de Thurgovie. «C’était mon premier emploi sur le marché du travail ordinaire. Avant, je travaillais dans un atelier protégé au nettoyage et en cuisine», relate Natascha Oberholzer, qui a grandi dans le canton de Saint-Gall. À l’hôtel Dom, elle était employée au restaurant et au service. Donato Lorusso, lui, était portier et s’occupait du nettoyage des chambres. Auparavant, il travaillait dans une institution pour personnes cérébrolésées. «J’ai même servi des personnalités», déclare Natascha Oberholzer avec fierté. «Nous avons notamment accueilli Paul Rechsteiner, un ancien parlementaire fédéral.»
«Aujourd’hui, nous pouvons vivre de manière autonome. Avant, d’autres décidaient pour moi.» Donato Lorusso
La diversité de son travail lui plaisait. Elle se chargeait aussi des commandes de café et de thé, par exemple. Mais elle trouvait particulièrement exigeant de devoir se montrer toujours de bonne humeur avec la clientèle, même lorsqu’elle ne se sentait pas très bien. «Ces emplois étaient une chance énorme; nous avons fait un travail de pionnier et sommes même passés à la télévision», déclare-t-elle. «Avec le temps et le succès croissant, le travail est devenu de plus en plus exigeant», affirme Donato Lorusso. C’est pourquoi il a changé d’emploi. Natascha Oberholzer a dû arrêter de travailler à l’hôtel Dom après avoir chuté sur le sol en pierre de la cuisine, en raison d’une crise d’épilepsie. Heureusement, elle n’a jamais connu un tel épisode à son nouveau poste.
L’apprentissage de la vie autonome
Actuellement, Donato Lorusso travaille pour l’association «mensch-zuerst» et Natascha Oberholzer au sein de l’entreprise sociale «dreischiiebe», au service d’expédition de produits, principalement pour la boulangerie. «Je dois travailler avec beaucoup de précision, notamment lorsque je prépare des paquets cadeaux», explique-t-elle.
Leur travail à l’hôtel Dom les a aidés à gagner en autonomie. Auparavant, ils avaient déjà fréquenté un groupe de formation pour apprendre à vivre de manière autonome en dehors des institutions – un pas important pour tous les deux. C’est à l’hôtel Dom qu’ils sont tombés amoureux. Une fois le ménage et la gestion des finances maîtrisés, ils ont emménagé ensemble et se sont mariés il y a une vingtaine d’années. Quel est leur niveau d’autonomie aujourd’hui? «Nous faisons tout nous-mêmes, mais avons depuis longtemps un curateur. Depuis 2020, toutefois, une curatelle d’accompagnement suffit – nous nous occupons maintenant aussi de nos finances», déclare Donato Lorusso, visiblement fier.
Une fois par mois, ils reçoivent la visite d’une personne chargée de l’accompagnement à domicile, qui les aide en cas de questions. Ils peuvent aussi l’appeler si besoin, ce qui est le cas en ce moment, car la connexion à internet ne fonctionne plus et l’entreprise de télécommunications n’a pas pu les aider. Natascha Oberholzer raconte aussi qu’elle aurait soi-disant gagné quelque chose à un concours qui n’en était pas un. S’est ensuivi la visite d’un représentant qui a réussi à les convaincre à acheter un appareil coûteux, malgré leur opposition. Avec l’aide du curateur, ce forcing commercial a toutefois pu être annulé. Il apparaît clairement que les deux savent se débrouiller, y compris lorsqu’ils sont partis en vacances à Majorque – une expérience qu’ils relatent avec enthousiasme aujourd’hui encore.
S’engager et se défendre
Qu’est-ce qui a changé au fil des années par rapport à l’époque où ils travaillaient à l’hôtel Dom? «Aujourd’hui, nous pouvons vivre de manière plus autonome», indique Donato Lorusso. «Avant, d’autres décidaient davantage pour moi.» De manière générale, les personnes en situation de handicap ont plus de possibilités, affirme-t-il avec conviction. À l’époque, par exemple, il n’a pas pu faire d’apprentissage. Son salaire en pâtit également, fait-il remarquer. À propos d’argent, Natascha Oberholzer déclare: «Nous parvenons très bien à évaluer notre situation et nos moyens financiers. De temps en temps, nous aimerions bien pouvoir nous permettre des vacances qui coûtent un peu plus cher.» Quant à la société, ils ne la trouvent pas plus ouverte à l’égard des personnes en situation de handicap. Ils entendent toujours régulièrement des propos stupides, surtout de la part de jeunes. «Nous, les personnes en situation de handicap, ne savons souvent pas bien nous défendre, nous n’osons pas le faire», explique Natascha Oberholzer. Un jour toutefois, à la foire de l’Olma, elle a pris son courage à deux mains et repoussé un groupe de jeunes hommes qui prenaient toute la place. Elle s’engage également au sein du comité d’INSOS en tant qu’autoreprésentante afin de mieux faire entendre sa voix et celle des autres. Par ailleurs, elle aime échanger avec les gens et suit beaucoup de cours et de formations continues. Elle participe aussi volontiers à des activités de loisirs organisées, car «pour les personnes en situation de handicap, ce n’est pas si simple de faire des sorties».
Hôtel DOM
Situé au centre-ville de Saint-Gall, dans le quartier de l’abbaye, l’hôtel Dom, trois étoiles, dispose de quarante chambres. Il propose des nuitées et des repas et accueille des séminaires et des banquets. Les personnes qui ont un besoin de soutien important peuvent y développer leurs compétences professionnelles, sociales et intellectuelles et recevoir des conseils pour gagner en responsabilité individuelle et en autonomie. Cet hôtel inclusif, premier du genre, a été fondé il y a vingt-six ans. Aujourd’hui, près de cinquante-cinq personnes y travaillent à différents postes et places d’apprentissage. Elles sont employées en cuisine, au service, à la réception, au nettoyage des étages, à la blanchisserie et à l’atelier de couture. Les apprenti·es obtiennent un diplôme de spécialiste en hôtellerie, de cuisinière ou cuisinier, d’employé·e de commerce ou encore d’employé·e en hôtellerie, en cuisine ou en restauration. Elles et ils sont encadrés par des spécialistes des domaines de l’hôtellerie et de l’accompagnement socioprofessionnel. L’hôtel aide aussi son personnel à trouver des places de stage et d’apprentissage. Grâce à des collaborations avec différents partenaires du marché du travail ordinaire, il leur est possible de faire des stages externes ou d’obtenir leur diplôme dans entreprises actives sur le marché du travail ordinaire. La collaboration avec l’Open Art Museum, consacré à consacré à l’art brut et à l’Art naïf suisse, permet de décorer les locaux de l’hôtel avec des œuvres issues de la collection du musée.
www.hoteldom.ch
Photo: Anna-Tina Eberhard